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BAHREÏN

Nom officiel Royaume de Bahreïn
Chef de l'État Cheikh Hamad ben Issa al-Khalifa - depuis le 14 février 2002
Chef du gouvernement Cheikh Salman bin Hamad al-Khalifa - depuis le 11 novembre 2020
Capitale Manama
Langue officielle Arabe
Population 1 577 059 habitants (2023)
    Superficie 790 km²

      Article modifié le

      Évolutions politiques

      Une expérience parlementaire écourtée

      La découverte du pétrole en 1932 marque le début de la transformation de l'économie mais aussi des pratiques politiques. C'est au sein de l'industrie pétrolière que se développent les premiers mouvements de contestation organisés. En liaison avec la notabilité marchande sunnite et chiite, les ouvriers de la Bahrain Petroleum Company se mobilisent à la fois pour améliorer leurs conditions de travail et pour obtenir la création d'une Assemblée élue. Entre 1938 et 1965, le Bahreïn connaît une série de soulèvements à tendance nationaliste arabe et marxiste. De 1954 à 1956, un Comité d'union nationale coordonne la protestation, demandant des réformes politiques mais aussi le départ des Britanniques. Ses leaders seront arrêtés et exilés.

      Les demandes de participation populaires seront satisfaites au lendemain de l'indépendance. Une Assemblée constituante est élue au suffrage masculin en 1972. Elle élabore une Constitution (1973) inspirée de celle de Koweït, dans laquelle le Parlement dispose notamment d'un droit de veto sur les projets de loi émanant du gouvernement, quant à lui nommé par l'émir. Le Bloc progressiste, qui rassemble les militants nationalistes arabes et marxistes de confession sunnite et chiite, constitue la force dominante du Parlement. Mais il doit compter avec le poids des islamistes chiites. Rassemblés sous le nom de Bloc religieux, ceux-ci appartiennent en réalité à une cellule clandestine du parti al-Da'wa al-Islamiya (l'Appel à l'islam). Né en Irak dans la seconde moitié des années 1950, al-Da'wa s'est diffusé au Bahreïn par l'intermédiaire d'étudiants bahreïniens des séminaires chiites de la ville de Najaf. Située au sud de l'Irak, cette ville était alors le principal centre de formation du clergé chiite.

      
			Cheikh Issa bin Salman Al Khalifa, 1969
		 - crédits : Central Press/ Hulton Royals Collection/ Getty Images

      Cheikh Issa bin Salman Al Khalifa, 1969

      En août 1975, l'opposition du Parlement à un projet de loi du gouvernement sur la sécurité de l'État restreignant les libertés publiques amène l'émir Issa bin Salman Al Khalifa (au pouvoir depuis 1961) à dissoudre le Parlement. La période qui suit est marquée par la montée en puissance des islamistes chiites, qui bénéficient à la fois de la répression qui s'abat sur les mouvements de gauche et du contexte régional, marqué par la mobilisation du clergé chiite d'Irak contre le régime irakien et par la révolution iranienne qui porte Rouhollah Khomeyni au pouvoir, en 1979. En 1981, le régime des Al Khalifa déjoue une tentative de coup d'État fomentée par le Front islamique de libération du Bahreïn. Tout comme al-Da'wa, ce mouvement est issu des réseaux transnationaux du clergé irakien ; il bénéficie en outre d'importants appuis parmi les factions radicales du régime iranien et devient le principal agent de l'exportation de la révolution islamique au Bahreïn. La tentative de coup d'État marque le début de l'épuration des forces de sécurité de ses éléments chiites, notamment au profit de mercenaires étrangers, arabes mais aussi pakistanais.

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      Dans un contexte politique qui reste tendu, le pouvoir refusant d'accéder à la demande de rétablissement de la vie parlementaire, les années 1990 voient la situation économique se dégrader fortement. La chute des prix du pétrole, couplée à un accroissement démographique soutenu, limite la capacité de redistribution du régime. Le chômage de masse frappe les jeunes arrivant sur le marché du travail, que l'État n'a plus, comme auparavant, la possibilité d'absorber dans le secteur public, déjà pléthorique. Les manifestations de chômeurs mécontents se multiplient, encadrées par des militants islamistes chiites. Parmi eux, le cheikh Ali Salman, qui deviendra le chef de file de l'opposition dans les années 2000. En 1994, son arrestation marque le départ d'un soulèvement qui durera quatre ans, jusqu'à la mort de l'émir et l'accession au trône de son fils, en mars 1999.

      Une démocratisation sous contrôle

      Le nouvel émir, Hamad bin Issa Al Khalifa, adopte une autre approche de la contestation. Il annonce un grand programme de réformes politiques qui comprend notamment le rétablissement du Parlement. Le 14 février 2001, il soumet au suffrage populaire masculin un texte, baptisé Charte d'action nationale, dans lequel il propose de transformer l'émirat en monarchie constitutionnelle, octroyant au passage le droit de vote aux femmes. Plébiscité à un peu plus de 98 % des voix (avec un taux de participation avoisinant les 90 %), le projet est vidé de son contenu un an plus tard quand le roi promulgue unilatéralement une nouvelle Constitution qui réduit considérablement les pouvoirs du Parlement. Désormais, les députés élus verront leurs décisions de facto soumises au veto d'une assemblée de notables – le Conseil consultatif – directement nommée par le roi. En signe de protestation, quatre organisations de l'opposition décident de boycotter les élections législatives d'octobre 2002. La principale d'entre elles est le mouvement al-Wifaq (la Concorde). Fondé en 2001, il rassemble toutes les tendances de l'islamisme chiite et est présidé par le cheikh Ali Salman.

      La question de la participation aux élections de 2006 divise l'opposition. Al-Wifaq se scinde en deux. Soutenu par la majorité des militants, Ali Salman s'engage dans la voie de la coopération avec le régime, acceptant de participer aux élections, alors même que le régime est resté inflexible sur la question des pouvoirs du Parlement et que le découpage des circonscriptions a été pensé de manière à l'empêcher d'obtenir la majorité absolue des sièges. De fait, il remportera 17 des 40 sièges.

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      Refusant ce qu'ils considèrent comme une légitimation sans contrepartie du régime, un groupe de militants d'al-Wifaq quitte le mouvement pour fonder al-Haqq (« le Droit ») à la fin de l'année 2005. Dirigée par Hassan Mshaima, cette formation rassemble des militants de tous horizons confessionnels et politiques, même si la dominante islamiste chiite demeure. En 2006, al-Haqq organise la signature d'une pétition demandant le rétablissement de la Constitution de 1973, qu'il soumet à l'ONU en 2006, sans résultat. Les militants d'al-Haqq sont par ailleurs régulièrement engagés dans des accrochages avec les forces de sécurité. En octobre 2010, les élections législatives ne modifient pas les positions des acteurs de l'opposition. Al-Wifaq participe de nouveau au scrutin, obtenant 18 sièges. Al-Haqq, quant à lui, est affaibli par la répression du régime, qui harcèle ses leaders, contraignant Hassan Mshaima à l'exil.

      Le soulèvement de 2011 et ses conséquences

      C'est dans ce contexte particulier qu'éclate le soulèvement du 14 février 2011, directement lié à la vague de protestation du « printemps arabe » partie de Tunisie et d'Égypte. Le régime hésite entre la répression et la négociation mais, après avoir entamé des pourparlers avec al-Wifaq portant notamment sur l'élargissement des compétences du Parlement et les modalités de nomination du Premier ministre, il choisit finalement de ne faire aucune concession. Arrivé le 14 mars 2011, un détachement du Bouclier de la Péninsule, la force armée commune aux États du Conseil de coopération du Golfe (CCG) que le Bahreïn a rejointe en 1981, aide le régime à rétablir l'ordre. Les manifestants sont évacués du rond-point de la Perle, à Manama, sur lequel ils campaient, imitant le modus operandi des révolutionnaires égyptiens. Le 18 mars, le monument qui se dressait à cet endroit est rasé. Figurant une perle dressée sur un piédestal en hommage à la perle naturelle qui a fait la fortune du Bahreïn avant l'ère pétrolière, il était devenu le symbole du mouvement de protestation. Dans la foulée, le régime se livre à une répression tous azimuts contre l'opposition organisée et, plus largement, contre les manifestants.

      Le soulèvement de 2011 entraîne un profond bouleversement du champ politique bahreïnien, accentuant les dynamiques de fragmentation nées dans la seconde moitié des années 2000. Au lendemain du soulèvement, on distingue au sein de l'opposition trois pôles, dont les projets sont parfois radicalement divergents. D'une part, al-Wifaq, qui a pris la décision de se retirer du Parlement pour protester contre la répression, campe sur des positions réformistes puisque son objectif déclaré est toujours la réforme du régime pour parvenir à une monarchie constitutionnelle réelle. D'autre part, on trouve les organisations rassemblées au sein de la Coalition pour la république, qui s'est formée durant le soulèvement. Avec al-Haqq pour pilier, elle regroupe les organisations qui boycottaient les élections. Comme son nom l'indique, la Coalition est en faveur d'un changement de régime radical. Un troisième mouvement, enfin, est apparu durant le soulèvement, la Coalition du 14 février. Il s'agit d'une organisation de jeunes, typique des groupes politiques informels nés des différents soulèvements arabes. Sans leader déclaré, il demande lui aussi l'éviction de la dynastie Al Khalifa, au profit d'un régime qui serait librement choisi par le peuple.

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      À partir de 2012, le Bahreïn est frappé par une vague d’attaques terroristes visant les forces de sécurité. Deux organisations semblent plus particulièrement actives : d’une part, les Brigades de la résistance populaire, liées à la Coalition du 14-février et à al-Haqq ; d’autre part, les brigades al-Ashtar, qui seraient liées à al-Wafa, mouvement islamiste chiite fondateur avec al-Haqq de la Coalition pour la République. Inscrites en 2018 sur la liste américaine des organisations terroristes, les brigades al-Ashtar auraient notamment organisé l’année précédente l’évasion d’une dizaine d’opposants de la prison de Jaw. En 2018 encore, le groupe armé a rendu publics ses liens avec la République islamique d’Iran, déclarant faire partie de l’« axe de la Résistance », le réseau transnational d’organisations islamistes chiites pro-iraniennes.

      Dans ce contexte, le régime décide d’accentuer la pression sur l’opposition réformiste, notamment après le refus de celle-ci de participer aux élections parlementaires de 2014. Al-Wifaq est officiellement dissous en 2016. En 2018, Ali Salman, son secrétaire général, emprisonné depuis 2014, est condamné à la prison à vie.

      Le soulèvement de 2011 a également accentué les divisions au sein du régime.

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      Trois centres de pouvoir entre lesquels le roi doit constamment arbitrer coexistent. Chef de file des réformistes un temps prêts à des compromis avec l'opposition, le prince héritier Salman bin Hamad Al Khalifa doit affronter deux factions qui pensent que le soulèvement a prouvé l'inanité de l'ouverture politique des années 2000. Khalifa bin Salman Al Khalifa, Premier ministre depuis 1971 et oncle du roi, incarne la vieille garde du régime. Troisième centre de pouvoir, le ministre du cabinet du roi Khaled bin Ahmed Al Khalifa et son frère le ministre de la Défense et commandant en chef de l'armée, Khalifa bin Ahmed Al Khalifa. Très antioccidentaux, ils sont les principaux relais des mouvements islamistes sunnites au sein de la dynastie régnante. En 2020, la mort de Khalifa bin Salman permet à Salman bin Hamad d’affermir son pouvoir, puisqu’il cumule désormais les fonctions de prince héritier et de Premier ministre.

      Présents au Bahreïn depuis les années 1940, en raison du contexte confessionnel très polarisé, les mouvements islamistes sunnites comptent parmi les soutiens du régime. Ils ont connu d'importantes recompositions pendant et après le soulèvement. Des militants des Frères musulmans, regroupés depuis 2001 au sein du mouvement al-Minbar (la Tribune), et des salafistes, rassemblés quant à eux au sein d'al-Asala (l'Authenticité), ont rejoint deux nouvelles organisations qui ont pris parti contre le soulèvement, tout en soutenant l'idée d'un élargissement des pouvoirs du Parlement. Il s'agit du Rassemblement pour l'union nationale, dirigé par Abd al-Latif Mahmud, et du Mouvement du réveil d'al-Fatih (du nom de la mosquée où il organise un meeting le vendredi). Même si elles lui servent ponctuellement de forces d’appoint, les formations islamistes sunnites sont vues avec méfiance par le régime : celui-ci préfère se confronter à un paysage politique fragmenté plutôt qu’à des organisations politiques de masse, qui pourraient être influentes au Parlement – depuis 2011, ce dernier est dominé par des notables et non par des organisations politiques.

      La crise au Bahreïn a également affecté le contexte régional, suscitant un renouveau des tensions entre le CCG et l'Iran. Soutenu en cela par l'Arabie Saoudite, son allié de longue date qui a largement orchestré l'intervention du Bouclier de la Péninsule, le Bahreïn a pointé du doigt l'Iran comme étant l'initiateur du soulèvement et est plus que jamais aligné sur Riyad. Ainsi, le pays participe aux opérations militaires au Yémen lancées par son allié saoudien en 2015 ainsi qu’au boycott du Qatar, initié par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, et qui a officiellement pris fin en janvier 2021.

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      Écrit par

      • : professeur émérite des Universités
      • : professeure associée, Sciences Po CERI
      • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

      Classification

      Médias

      Bahreïn : carte physique - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Bahreïn : carte physique

      Bahreïn : drapeau - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Bahreïn : drapeau

      
			Cheikh Issa bin Salman Al Khalifa, 1969
		 - crédits : Central Press/ Hulton Royals Collection/ Getty Images

      Cheikh Issa bin Salman Al Khalifa, 1969

      Autres références

      • BAHREÏN, chronologie contemporaine

        • Écrit par Universalis
      • ARABIE SAOUDITE

        • Écrit par , et
        • 25 172 mots
        • 10 médias
        ...mars 2011, le pouvoir saoudien envoie, sous couvert d'une force de réaction du CCG, au moins 1 000 (peut-être 4 000) militaires saoudiens et émiratis pour épauler le pouvoir de Bahreïn soumis à une forte contestation. Les troupes saoudiennes ne participent pas directement à la répression des manifestations...
      • CCG (Conseil de coopération du Golfe)

        • Écrit par
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        • 1 média

        Le Conseil de coopération du Golfe (CCG, en anglais, Gulf Cooperation Council ou GCC) est une organisation régionale. Créé le 25 mai 1981, à l'initiative de Riyad, pour contrer les débordements possibles de la révolution islamique iranienne et limiter les retombées de la guerre Irak-Iran...

      • MANAMA, Bahreïn

        • Écrit par
        • 449 mots
        • 1 média

        Capitale et plus grande ville de l'émirat de Bahreïn, Manama (en arabe Al-Manâmah) s'étend sur la pointe nord-est de l'île de Bahreïn, dans le golfe Arabo-Persique. Avec 143 035 habitants en 2001 (aire urbaine : 345 000 hab.), elle abritait près de 20 p. 100 de la population nationale. Mentionnée...

      • PRINTEMPS ARABE ou RÉVOLUTIONS ARABES

        • Écrit par
        • 8 216 mots
        ...forces de sécurité) ; il lance une réforme constitutionnelle avec l'élection d'un Conseil consultatif aux pouvoirs accrus, qui a lieu en octobre 2011. À Bahreïn, en revanche, des mesures semblables sont prises en février-mars, mais elles ne suffisent pas à calmer la contestation. Celle-ci prend de l'ampleur,...

      Voir aussi