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BAJAZET, Jean Racine Fiche de lecture

Une course à la mort

Dans cet univers où la cruauté est une institution, le sort des héros est soumis au destin, transcendance lointaine qui décide de la victoire, très loin, depuis Babylone. Le sultan, en guerre, agit à distance, envoie ses ordres de mort, triomphe, et rend d'autant plus tragique les vains soubresauts des amants. La vérité, la légitimité, Dieu sont, une fois de plus, cachés et, dans ce monde incertain, de féroces passions dévorent les personnages. Acomat passionné de pouvoir, Bajazet d'héroïsme, Atalide et Roxane de désir amoureux sont tous quatre entraînés dans la mort ou l'exil, sans espoir aucun. Bajazet, qu'il choisisse Roxane ou Atalide, sera confronté aux mêmes dangers : à l'une et à l'autre il devra son pouvoir, il sera soumis au nom du charme de l'une (Roxane) ou de la pureté du sang de l'autre (Atalide). Pour répondre aux manœuvres des autres personnages, le tendre héros rêve son héroïsme, tient un discours faux qui le suffoque au point qu'il en meurt, incapable qu'il est de se parjurer.

Le labyrinthe des intrigues s'épaissit dans le secret du sérail, les informations venues de l'extérieur sont mal reçues, le sens se brouille dans les mensonges ou les aveuglements. Les trois personnages principaux vivent le même dilemme : perdre l'être aimé en révélant leurs sentiments ou le perdre en maintenant le mensonge qui le protège. Roxane, Bajazet, Atalide ont le choix de voir mourir, de devoir tuer l'être aimé, ou de renoncer à lui. Dès lors, le drame ne pourra que s'accomplir, après de multiples faux événements et ces nombreuses péripéties que sont les revirements des uns et des autres, les interventions d'Orcan, et les fausses issues que propose Acomat.

Si dans Bérénice Racine semblait avoir été très loin dans la représentation de la gloire, dans Bajazet il raye d'un trait de plume son exercice. Parallèlement, il abandonne la simplicité extrême pour la complexité labyrinthique. Ces deux pièces sont des écarts radicaux. Reste à revenir maintenant à la norme, et ce sera l'entreprise de Mithridate.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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