CASTIGLIONE BALDASSARRE (1478-1529)
Le miroir d'une époque
Bien que les entretiens qui forment l'essentiel du livre soient fictivement situés entre septembre 1506 et février 1507, il semble que Castiglione n'ait pas entrepris de composer son ouvrage avant 1513, au terme de son séjour à la cour d'Urbino, où il s'était lié d'amitié avec Pietro Bembo, avec le futur cardinal Bibbiena, favori de l'exilé Jean de Médicis qui allait bientôt devenir le pape Léon X, et avec bien d'autres qui se retrouvent dans les rôles du Cortegiano.
Des invasions, des batailles, des renversements d'alliances qui se succèdent en Italie, de 1494 à 1529, et qui furent loin d'être sans effet sur la vie et la carrière du diplomate Castiglione, on ne perçoit dans le Cortegiano que de brefs et lointains échos. Bien qu'il y soit souvent question de la formation et des devoirs des princes, l'ouvrage peut passer pour apolitique, si l'attention politique véritable est celle qu'un auteur, témoin ou juge, donne aux mouvements et aux crises de la société où il vit. À la différence de son contemporain Machiavel, Castiglione ne s'interroge pas sur les chances qu'ont les dynasties ou les États de second ordre de subsister ou de s'agrandir. Son propos n'a pas trait à leur débilité relative en face des grands royaumes dévorants, mais au style de vie prestigieux que tout État peut tendre à édifier au niveau de la cour, comme si la fin du pouvoir régnant était non la puissance mais une civilité supérieure. Plus qu'un centre d'où s'exerce la force politique, la cour est dans le Cortegiano le lieu où aboutit et s'affine la culture, où l'apparat se rend inséparable du savoir, l'agrément de la dignité, où s'élabore, en un mot, un art de vivre exemplaire, de portée universelle.
On ne peut rêver assemblage plus révélateur d'une vision « d'époque », de l'importance des qualités et des grades. Au centre, deux animatrices représentant la dynastie régnante : l'épouse du souverain, Elisabeth, et la « dame de palais », Emilia Pio, apparentée au souverain par alliance. Près d'elles, des hommes réputés et hautement protégés auxquels sourit un bel avenir : trois futurs cardinaux, Bembo, Bibbiena, Federico Fregoso ; le fils de Laurent le Magnifique, Julien de Médicis, qui sera duc de Nemours ; Ottaviano Fregoso, qui sera doge de Gênes ; le comte Ludovic de Canossa, qui sera ambassadeur de Léon X en Angleterre et en France. À ceux-ci s'ajoutent des gentilshommes qui donnent de grands espoirs, mais disparaîtront prématurément. Moins chargés de dignités ou de promesses, d'autres personnages sont plus strictement fonctionnels. Ils font songer aux experts qui composent de nos jours l'escorte des diplomates. « Spécialistes » à l'autorité restreinte et subordonnée, ils sont là pour garantir l'information de leurs supérieurs et répondre, le cas échéant, aux questions que ceux-ci leur posent. La distribution obéit donc à une hiérarchie des rôles où les simples commis de cour restent à bonne distance des dignitaires, de ceux qui sont destinés à le devenir, et des seigneurs.
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Écrit par
- Paul RENUCCI : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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