BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE (BCE)
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Une banque centrale en proie aux clivages politiques et aux critiques
Les transformations de la BCE ne se sont pas pour autant faites sans encombre ni contestations. Les économistes de marché et les universitaires d’obédience anglo-saxonne ont, dans l’ensemble, pointé la langueur dogmatique de la Banque à engager des actions « non conventionnelles » de rachat massif de dettes publiques qui auraient permis de stabiliser les marchés financiers plus tôt. Les deux séquences de relèvements de taux d’intérêt, actées sous la présidence de Jean-Claude Trichet, en juillet 2008 et durant le printemps et l’été 2011, ont également désarçonné les anticipations des acteurs économiques et financiers. De leur côté, les économistes et banquiers centraux orthodoxes, ainsi que certains juristes ou chefs d’entreprise allemands, ont contesté une violation des termes du Traité et intenté à plusieurs reprises des actions judiciaires contre la BCE devant la Cour constitutionnelle de leur pays. En septembre 2011, le chef économiste allemand de la Banque, Jürgen Stark, démissionne de ses fonctions, marquant ainsi le début d’une série de vives contestations de la politique de la BCE outre-Rhin.
De la même manière, durant une grande partie de la présidence de Mario Draghi (2011-2019), la BCE fut divisée entre les camps des « faucons », partisans de l’orthodoxie monétaire, et celui des « colombes », favorables à des mesures accommodantes. Dans le champ politique, la BCE a également suscité des débats particulièrement vifs sur la question de son mandat, de son contrôle démocratique, ou encore de sa participation aux mesures dites « d’austérité » dans les pays périphériques. De façon plus méconnue, l’opinion publique s’est également défiée de l’institution, sans pour autant remettre en cause son attachement à l’euro, qui n’est jamais descendu, selon les sondages, en deçà de 52 % en 2012, dans les pays où il circule. Le caractère incompréhensible – sauf par les spécialistes – des mesures actées par l’Eurosystème, la perception « complotiste » d’une collusion de la BCE avec les banques commerciales, et la façon dont la politique monétaire proactive a pu amplifier des inégalités économiques via ses effets positifs sur le patrimoine financier et immobilier des plus aisés, l’expliquent sans doute.
La politique monétaire elle-même a soulevé une série de questions empiriques. Si son rôle déterminant dans le rétablissement de la stabilité financière est incontestable, la façon dont la BCE a pu soutenir la croissance et l’inflation entre 2012 et 2017 n’a sans doute pas été aussi importante qu’elle a pu le prétendre. Surtout, les effets négatifs des mesures « non conventionnelles » pour le système financier et l’économie ont souvent été minorés. En effet, la compression des taux d’intérêt a diminué les profits des banques, dilué la juste mesure des risques propres aux investissements, poussé les acteurs financiers à la spéculation et réduit les rendements de l’épargne sécurisée. De plus, l’habitude qu’ont prise les décideurs politiques de se reposer sur la BCE a engendré un phénomène « d’aléa moral » pour les finances publiques, c’est-à-dire qu’elle les a dissuadés de mener à bien les réformes nécessaires à l’achèvement du cadre institutionnel de l’union monétaire. Après 2015, la BCE a admis à demi-mot ces effets négatifs tout en arguant, partiellement à raison, que la baisse des taux était due, sur le long terme, à des facteurs structurels.
Sur un plan plus académique, l’action de la BCE au cours de la crise a suscité des débats de fond. La pertinence du mandat originel de la Banque, qui relègue au deuxième rang le soutien aux politiques économiques, est questionnée dans un contexte de baisse de la croissance potentielle et de hausse structurelle de l’inflation. L’indépendance[...]
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Écrit par
- Olivier MARTY : enseignant en économie européenne à Sciences Po et à l'université de Paris
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