BANTOU
Systèmes magico-religieux
Magie et sorcellerie
Une racine bantoue commune (-dog) désigne le sorcier malfaisant ou son action nocive, socialement condamnée, qu'elle s'exerce inconsciemment ou consciemment, par envie ou par haine. Partout dans le monde bantou, un homme se dresse pour enrayer ces maléfices : le terme qui le désigne remonte à une autre racine bantoue commune : n-ganga. L'activité du nkanga (Mongo) ou du nganga (Kongo, Luba) est socialement approuvée et encouragée. C'est lui qui restaure l'intégrité de l'homme et de la société, menacée par la puissance occulte des sorciers ou des esprits courroucés. Dans la pratique, il arrive, certes, que l'on soupçonne le magicien – qui est aussi parfois devin et médecin – de pratiquer la sorcellerie. Il n'en demeure pas moins que les deux champs conceptuels sont distincts. À cet égard, la zone du pouvoir est frappée d'ambivalence. Chez les Kongo, par exemple, l'oncle maternel ou le père a le droit de sanctionner une faute grave commise par le neveu utérin ou le fils par une malédiction (nloko) dont l'efficacité est de même nature que celle de la sorcellerie (kindoki). Il s'agit là d'une sorcellerie légitime, exercée pour la défense de l'ordre social.
Plus troublante est l'assimilation du pouvoir sacré du roi kuba à la sorcellerie criminelle. Après l'intronisation, qui l'arrache à l'ordre familial et lui confère d'importants pouvoirs sur la nature, le souverain est considéré purement et simplement comme un dangereux sorcier maléfique.
La magie s'exerce souvent par le truchement d'objets « fétiches », réservoirs de forces défensives ou agressives. C'est ainsi que le bwanga des Luba agit per se, ex officio, à condition que son propriétaire respecte un certain nombre d'interdits. Les ingrédients (bijimba) qui confèrent au charme son efficacité particulière composent deux séries, l'une métaphorique, l'autre métonymique. La première comporte des signes prélevés sur le monde animal, végétal ou minéral ; ils forment un discours imagé indiquant la finalité du bwanga. La seconde série est faite de rognures d'ongles, de mèches de cheveux prélevés sur le propriétaire du « fétiche » pour y associer symboliquement sa personnalité. Au moment de sa fabrication, un ancêtre est invité à animer cet objet-discours.
On retrouve des objets du même type (les nkisi) chez les Kongo. Mais, cette fois, c'est un esprit de l'eau qui se trouve capturé dans l'objet comme dans un piège avec un peu d'argile qu'on prélève au fond d'une rivière.
Ancêtres et esprits de la nature
Les relations avec les ancêtres ou avec les esprits de la nature – et non avec un Être suprême lointain – constituent la toile de fond des religions bantoues. Le statut des ancêtres oscille entre deux situations opposées : certaines sociétés les considèrent comme fondamentalement bienveillants, d'autres comme potentiellement maléfiques. En tout état de cause, ils peuvent s'irriter dangereusement s'ils ne reçoivent pas les offrandes et les sacrifices requis. Les ancêtres des Zulu relèvent du premier type. Le sacrifice du bœuf est ici le moyen de communication privilégié. Les ancêtres vivent dans la plus grande intimité avec leurs descendants. Les premiers sont responsables de la conception et de la gestation. À ce titre, la naissance de l'enfant est assimilée à la renaissance perpétuelle des ancêtres immortels, à la manière de serpents perdant leur peau. Le sacrifice qui leur est dédié s'accompagne d'une cuisine rituelle et d'une communion alimentaire à laquelle participent un grand nombre de parents.
Il est remarquable qu'un tel schéma sacrificiel subisse de profondes transformations chez les Thonga du Mozambique, où la relation[...]
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Écrit par
- Luc de HEUSCH : professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles, directeur du Centre d'anthropologie culturelle de l'Institut de sociologie, Université libre de Bruxelles
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