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BAOULÉ

La « cristallisation » de l'ethnicité baule et son devenir à partir de la colonisation

L'identité baule contemporaine est le produit de configurations historiques et d'une relecture de l'histoire à partir des enjeux contemporains. La colonisation et le développement des cultures cacaoyères et caféières ont eu des effets particulièrement notables. Comme durant la période précoloniale, ces effets seraient incompréhensibles si l'on détachait l'ethnie et le pays baule du contexte de leurs relations avec les autres régions, avec les autres ensembles culturels et, en fin de compte, avec l'espace ivoirien et même ouest-africain. La pénétration coloniale du pays baule fut longue et difficile (des années 1890 à la Première Guerre mondiale). Les habitants du pays baule eurent à réagir à une occupation étrangère progressive (en s'opposant violemment ou en collaborant, selon les catégories sociales et les situations locales) et à reconvertir leur système politique et économique antérieur. Malgré sa diversité, le pays baule constituait, aux yeux des administrateurs, un « bassin économique » cohérent qui lui valut un traitement spécifique. Une condition commune face à la situation coloniale renforça sans nul doute l'identification des habitants à cette entité territoriale désormais qualifiée de « pays baoulé ». Plus fortement soumis aux contraintes coloniales que les Akan de l'Est (relativement protégés par leur conversion précoce à la cacaoculture), les Baule adoptèrent rapidement une stratégie de migrations vers les régions cacaoyères et, surtout pour les femmes, vers les villes de la côte. Dans les années 1930, la caféiculture, adaptée à l'écologie du pays baule, et le commerce des produits vivriers suscitèrent une recolonisation de leur région d'origine en même temps que les Baule amorçaient un nouveau mouvement de colonisation agricole vers l'Ouest forestier. Jusqu'à l'époque présente, l'insertion des Baule dans la société ivoirienne se caractérise par le caractère polymorphe de leurs initiatives face à l'évolution du contexte économique : un fort investissement (au sens affectif comme économique) dans la région d'origine s'accompagne d'un important essaimage dans toute la zone forestière, d'une implication dans les activités urbaines les plus diverses et d'une participation à la mesure de leur poids démographique à l'appareil d'État. L'identité baule a trouvé à se cristalliser autour de ce polymorphisme qui facilitait la reconversion de l'ancien système d'inégalité (notamment vis-à-vis des esclaves et descendants d'esclaves qui furent les premiers à être scolarisés) vers de nouveaux réseaux de solidarité et de clientèle. Les pratiques matrimoniales volontiers exo-ethniques des femmes baule contribuèrent, avec l'homogénéisation culturelle interne au pays baule, à « gonfler » l'effectif des personnes qui, à un titre ou un autre, étaient en mesure de se réclamer de cette identité. Le destin personnel d'Houphouët-Boigny, qui toujours prit soin de se réclamer de son origine baule pour mieux se faire entendre des couches rurales ivoiriennes dans leur ensemble, participa également à ce « dynamisme baule ». C'est dans cette adéquation, largement non intentionnelle et contingente, du destin d'une région à celui du pays tout entier qu'il faut voir les raisons profondes du poids baule dans la vie politique et économique ivoirienne, beaucoup plus que dans un complot tribaliste qui nous laisse ignorant des complexités et des finesses de l'histoire contemporaine des sociétés africaines. La crise de la société ivoirienne qui a éclaté en 1990, et qu'une analyse superficielle réduit à une réaction « anti-Baule », traduit aussi le besoin, en Afrique comme ailleurs, de s'inventer des traditions nouvelles.[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche à l'Institut français de recherches pour le développement en coopération, sociologue

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