BARBARA (1930-1997)
L’auteure-compositrice et interprète Barbara est de ces artistes qui ont fait de la chanson l’apanage d’une poésie populaire capable d’effleurer les émotions juste avant qu’elles ne s’évanouissent. Cette œuvre – à moins qu’il ne s’agisse des marges d’une autofiction impossible – a révélé un style unique. À travers le mascara de ses regards, ses postures et ses mains tendues, une silhouette en noir et blanc devant les touches d’un piano a donné forme à nos fêlures et aux avatars du féminin en chacun de nous. Les chansons de Barbara sont la plaie ouverte de l’adolescence éternelle, quand le moi ne sait pas encore couvrir de mensonges son malheur d’exister.
Des débuts incertains
Barbara a toujours nié que son pseudonyme ait été trouvé dans le célèbre poème de Prévert : il s’agirait plutôt, selon la chanteuse elle-même, du prénom de sa grand-mère russe Varvara. Le rapprochement, de toutes les façons, ne peut être que gratifiant.
Monique Andrée Serf est née à Paris le 9 juin 1930, dans une famille juive originaire de Russie. Pendant l’Occupation, la jeune fille et sa famille sont contraintes à une longue errance en province : Préaux dans l’Indre, Tarbes ou encore Saint-Marcellin dans le Vercors, qui inspira « Mon enfance ». Dès son retour dans la capitale, elle suit obstinément une vocation d’artiste et prend des cours de piano et de chant au conservatoire. Mais elle est trop rebelle pour ne pas exploiter seule ses talents dans la lignée de ses aînées, les grandes chanteuses populaires qu’elle aime, comme Marie Dubas, Fréhel ou Édith Piaf. En 1949, Jean Wiener lui indique le cabaret La Fontaine des Quatre-Saisons, dirigé par Pierre Prévert. Même si la jeune femme n’y obtient qu’un emploi de plongeuse, elle peut y apercevoir Boris Vian, Édith Piaf ou Mouloudji. Les petits emplois mal payés, l’absence d’assise familiale ou une trop éphémère figuration dans l’opérette Violettes impériales jouée au théâtre Mogador la poussent à quitter Paris pour la Belgique.
À vingt ans, elle tente sa chance à Bruxelles, où elle chante sous le pseudonyme de Barbara Brodsky. Il lui arrive de croiser le poète surréaliste belge Paul Nougé et son entourage. Claude Sluys, un avocat féru de chanson française, devient son mari pendant deux ans. À ce moment-là, Ethery Rouchadze l’accompagne au piano. Le succès ne vient pas vraiment, même si elle parvient en 1955 à enregistrer un premier 45-tours « Mon pote le gitan » et « L’Œillet blanc ». Le cabaret que Barbara et ses amis ont créé, Le Cheval blanc, ferme ses portes. Devant de minuscules publics d’artistes et d’étudiants, Barbara y a élaboré un premier répertoire qui restera durablement le sien, à mi-chemin du music-hall et du cabaret rive gauche. On a évoqué à ce propos une lointaine parenté avec Juliette Gréco, alors très à la mode. Barbara reprend les chansons du caf’conc’ et de la Belle Époque : celles de Xanrof (« Le Fiacre », par exemple, interprété par Yvette Guilbert, à qui elle emprunte la gestuelle et l’art de la diseuse), celles de Harry Fragson aussi (« Les Amis de Monsieur ») ou encore de Mayol (« Elle vendait des p’tits gâteaux »). De retour à Paris, elle est engagée au cabaret L’Écluse, où elle restera « la chanteuse de minuit » pendant six ans, de 1959 à 1964. Son répertoire s’est enrichi des chansons de Georges Brassens (« La Femme d’Hector », « Pauvre Martin »...), Léo Ferré, Pierre Mac Orlan ou Jacques Brel. Lors d’un passage à la télévision dans l’émission « Discorama » de Denise Glaser, elle interprète « Les Boutons dorés »de Jacques Datin et Maurice Vidalin. Entre 1959 et 1961 sortent les disques Barbara à l’Écluse, Barbara chanteBrassens (grand prix du disque de l’Académie Charles-Cros) et Barbara chante Jacques Brel. L’enregistrement[...]
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
Classification
Médias