Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CASSIN BARBARA (1947- )

Un langage actif

Quelle est la force du langage ? L’intuition qui anime son œuvre, c’est que les mots ne sont pas seulement les reflets du monde tel qu’il est, mais qu’ils possèdent aussi une puissance créatrice et sont capables de faire advenir quelque chose, y compris un ciment social. C’est cette dernière conviction qui l’a amenée, à travers un accord international avec le CNRS, à participer à la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud en 1995, mise en place dans le cadre de la transition démocratique. De même, elle travaille sur la traduction, comprise comme exploration et affranchissement des barrières culturelles, et crée en 2018 les Maisons de la sagesse qui sont des lieux dont la vocation est d’aider à surmonter les différences par un travail sur les mots, et d’accompagner les immigrés.

« Comment faire des choses avec des mots », tel est le titre littéral de l’œuvre d’Austin traduite en français par Quand dire, c’est faire (1962), et consacrée aux « actes de langage » dits « performatifs » – ces énoncés par lesquels quelque chose existe, comme la parole de celui qui déclare unis les époux. L’intuition centrale de la pensée de Barbara Cassin, avant même qu’elle ne s’intéresse à cette notion, c’est précisément que les mots ont un pouvoir, qu’ils sont à bien des égards créateurs de l’être lui-même, au lieu de se réduire à l’exprimer.

C’est là le concept central de L’Effet sophistique (1995), à l’origine sa thèse de doctorat d’État et sans doute son ouvrage personnel le plus important. Elle y poursuit l’idée que les philosophes classiques que sont Platon et Aristote ont maintenu aux marges tout ce qui ne prétendait pas être la simple expression de l’être – ces disciplines que précisément Barbara Cassin a explorées : la sophistique, la rhétorique, la littérature. Sa pensée poursuit la reconquête de la pensée sophistique, notamment à travers l’œuvre de Gorgias, puis celle de la rhétorique, explorée dans un ouvrage collectif, fruit du séminaire qu’elle y a consacré lorsqu’elle était directrice du Centre Léon-Robin, La Rhétorique au miroir de la philosophie (2015). Elle voit dans « la décision du sens » le geste inaugural d’Aristote, poursuivant l’œuvre de Platon : faire équivaloir dire et signifier. En réaction à cette tradition, elle aura trouvé dans la sophistique une pensée où « l’être, de manière radicalement critique par rapport à l’ontologie, n’est pas ce que la parole dévoile mais ce que le discours crée,  “effet” du poème comme le héros  “Ulysse” est un effet de l’Odyssée » (L’Effet sophistique).

— Jean-Baptiste GOURINAT

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Barbara Cassin - crédits : Hannah Assouline/ Opale/ Leemage

Barbara Cassin

Autres références

  • VOCABULAIRE EUROPÉEN DES PHILOSOPHIES (dir. B. Cassin)

    • Écrit par
    • 991 mots

    Il n'est pas facile de présenter brièvement ce monumental Vocabulaire européen des philosophies dirigé par Barbara Cassin, et coédité par le Seuil et Le Robert (2004) : plus de 1 500 pages ; 400 entrées rassemblant dix fois plus de termes, puisque le principe est de faire droit à la diversité...