BIGARD BARNEY (1906-1980)
Reine chez les créoles, la clarinette connaît son heure de gloire dans la prime jeunesse du jazz. À cette époque, on joue du black stick et accessoirement du saxophone (bientôt les termes s'inverseront). On trouve donc de nombreuses vedettes de l'instrument chez ces jazzmen que l'on qualifie parfois d'archaïques : Alphonse Picou, George Baquet, Lorenzo Tio Jr. De splendides musiciens comme Jimmie Noone, Johnny Dodds, Sidney Bechet – ce dernier bien vite conquis cependant par le saxophone soprano –, George Lewis, Joseph Rappolo, Albert Nicholas ou Mezz Mezzrow assoient à la fois sa réputation et ses possibilités expressives. Mais Barney Bigard reste peut-être celui qui marie le plus intimement la plus absolue perfection technique et la sensibilité la plus frémissante.
Leon Albany « Barney » Bigard naît à La Nouvelle-Orléans le 3 mars 1906. Bien vite, il se met à l'école de Lorenzo Tio Jr. pour le saxophone et la clarinette. Il fait ses débuts dans sa ville natale avec Octave Gaspard et Albert Nicholas. Il obtient son premier engagement important, en 1925, à Chicago, chez le trompettiste King Oliver. En 1927 et en 1928, on le retrouve dans les formations de Charlie Elgar, Luis Russell et Jelly Roll Morton.
Mais vient la grande rencontre de sa vie musicale, un certain Duke Ellington. Barney Bigard a vingt-deux ans. Il restera quatorze ans dans l'orchestre de ce géant du jazz. Ce sont les années les plus fécondes de toute sa carrière. En pleine possession de ses moyens, Barney Bigard épanouit, dans les nouveaux horizons harmoniques et rythmiques que le Duke découvre devant lui, une maturité expressive qui le place au premier rang des musiciens de son temps. Membre irremplaçable de l'illustre phalange, il est de tous les coups d'éclat d'Ellington. On ne compte plus ses solos inspirés, au sein de la formation complète ou dans des ensembles plus réduits : Tiger Rag, Saratoga Swing, The Mooche, Across the Track Blues, A Portrait of Bert Williams, Caravan, Rose Room, Dusk on the Desert et tant d'autres encore. Il sera le premier membre de l'orchestre pour qui Duke écrira une partition dédiée à un soliste unique, Clarinet Lament, parfois surnommé Barney's Concerto.
Mais, en 1942, celui que Duke considérait comme le plus grand clarinettiste qu'il ait jamais connu quitte son Pygmalion. Barney Bigard n'en est pas pour autant proche de son déclin. Il se produit en Californie avec Freddie Slack et Kid Ory. Lors du premier concert de jazz organisé, le 18 janvier 1944, par la revue Esquire, dans ce temple consacré à l'art lyrique qu'est le Metropolitan Opera de New York, c'est lui que l'on choisit – concurremment avec Mezz Mezzrow, vedette de la clarinette plus controversée aujourd'hui qu'à l'époque – pour personnifier l'instrument. La cinquantaine passée n'altère en rien son incomparable talent. Entre 1947 et 1961, il fait merveille dans le All Stars de Louis Armstrong et les orchestres de Cozy Cole, Johnny St. Cyr, Muggsy Spanier, Earl Hines et Ben Pollack, même s'il n'y retrouve pas tout à fait la même inspiration et une musique aussi passionnante que celle que proposait le Duke. Il meurt à Culver City (Californie) le 27 juin 1980. Outre les disques qu'il nous laisse avec ses compagnons d'orchestre habituels, signalons d'excellentes prises avec Rex Stewart et Django Reinhardt.
Bien qu'accidentellement utilisateur du saxophone ténor, Barney Bigard demeure incontestablement l'un des meilleurs clarinettistes solistes des années 1930 et 1940. Un langage d'une souple élégance, un style fluide et gracieux, un swing vif et agile le rattachent à la grande tradition de La Nouvelle-Orléans créole. Montrant une sonorité ronde dans toute l'étendue du registre de l'instrument, utilisant d'une manière très originale et poétique la[...]
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
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