BAROQUE / CLASSIQUE, notion de
La doctrine classique et le rapport au temps
Dans tous les cas, la France du xviie siècle semblait exclue : « cartésienne », c'est-à-dire raisonnable, et plus gallicane qu'ultramontaine (l'art que nous qualifions de baroque : celui du Bernin, était alors dit « italien » ou « romain ») ; surtout, tributaire d'une tout autre définition du classique, par référence non à la Renaissance, ni même à l'Antiquité, mais à la « doctrine classique » forgée par Boileau et les partisans des Anciens. Pour les historiens de la littérature française, il y a donc inversion chronologique : le baroque précède le classique, au lieu de le suivre. Quant au terme « classicisme », il n'apparaît lui aussi qu'au xixe siècle et dans un contexte polémique, par opposition au romantisme. La situation est encore différente en Allemagne, où le « Klassik » désigne un moment d'équilibre contemporain du « romantisme d'Iéna », postérieur aux Lumières (Aufklärung) et au « préromantisme » du Sturm und Drang : c'est, autour de 1800, influencée par la philosophie kantienne, l'écriture de la maturité pour Schiller (Sur la poésie naïve et sentimentale, 1795) et Goethe (Les Affinités électives, 1809).
La tradition européenne identifiait comme classiques les grands auteurs de l'Antiquité grecque et latine, ceux qui devaient être à la base de l'enseignement des humanités. Le classicisme français place au centre de la culture ce principe d'imitation des Anciens. Ce faisant, il s'écarte d'autres modèles, les écrivains italiens et espagnols qui lui sont contemporains ou qui le précèdent immédiatement, la littérature française de la Renaissance et du début du xviie siècle. Il se définit par certains critères : le naturel, le vraisemblable, le respect des règles et de la bienséance, le culte de la raison ; il s'oppose ainsi à l'artifice, au bizarre, à l'excès, au merveilleux... Définition largement a posteriori, car le paradoxe est que les « Classiques » n'auraient jamais osé se désigner comme tels. En actualisant la référence à l'antique et en se niant comme modernes, ils prétendent d'une certaine manière s'affranchir de l'histoire – au lieu que le néo-classicisme, au moins en France, marque une prise de position par rapport à son temps, soit révolutionnaire (Rousseau), soit réactionnaire (Maurras), quand l'admiration pour Athènes et le modèle de la vertu romaine servent la dénonciation active du présent. Ce volontarisme néo-classique doit être distingué de l'aspiration plus discrète à un classicisme intemporel, celle en particulier qui marque la « génération N.R.F. », d'André Gide, de Paul Valéry, ou encore de Jacques Rivière exaltant en Proust « une renaissance classique » (« La Crise du concept de littérature », 1924).
On l'aura compris, les catégories de baroque et de classique ont eu du mal à s'affranchir des limites d'une approche nationaliste de l'histoire littéraire : la seconde à la gloire du « génie français » et de la perfection de sa langue ; la première utilisée par exemple par Oswald Spengler (Le Déclin de l'Occident, 1922) au bénéfice du « génie germanique », censé avoir fécondé la Renaissance italienne elle-même... Marc Fumaroli, promoteur d'une histoire résolument européenne de la culture, fédérée par la matrice commune de l'éloquence (L'Âge de l'éloquence, 1980), a proposé de leur substituer le couple « asianisme » (ornement, abondance) /« atticisme » (clarté, élégance), qui a l'avantage d'appartenir à la rhétorique puisqu'il provient de Cicéron, donc à la fois à la sphère proprement littéraire et au vocabulaire du temps. L'asianisme trouve ses principaux défenseurs et théoriciens[...]
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
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