BAROQUE
Esquisse géographique du baroque
On a cherché à fixer dans l'espace géographique le domaine du baroque. Le centre d'impulsion étant l'Italie, surtout Rome et Turin, les courants se dessineraient en direction des Flandres espagnoles, de l'Espagne et du Portugal, de la France (antérieurement à la période classique de 1660), de l'Angleterre après 1660 et, dans une autre direction, de l'Europe danubienne, de la Pologne, voire de la Russie. De l'Espagne, un autre courant franchirait l'Atlantique, en direction de l'Amérique coloniale (carte de l'Atlas allemand Westermann, 1953). On a parlé encore (P. Charpentrat, Baroque, Fribourg, 1964) d'un empire baroque relativement homogène, s'étendant en forme de croissant de la Sicile à la Lituanie, de Palerme à Wilno, ce qui est, en somme, exact, mais exclut trop résolument l'Espagne, sous prétexte qu'elle évolue selon ses propres rythmes et ne renoue le dialogue que par intermittences. Pour la clarté de l'exposé, on suivra, dans les pays où elles se sont produites, les expériences baroques de l'Europe, en n'oubliant pas qu'elles n'ont pas toutes la même date.
Espagne
La Péninsule
Le cas de l'Espagne est particulier : la Péninsule, placée tout entière – après 1580 avec le Portugal – sous la puissante et impérieuse autorité des grands Habsbourg : Charles Quint, plus flamand qu'allemand, et Philippe II qui semble incarner l'hégémonie espagnole sur le monde, demeure une juxtaposition de provinces, riche chacune de son propre passé. La Renaissance y rencontre donc de fortes traditions gothiques au Nord, et au Sud, la longue imprégnation de l'islam et de son art délicat. Aux portails des cathédrales, la sculpture plateresque déployant ses raffinements et ses ciselures, tout contre la sévérité massive des murs nus ; dans l'imagerie populaire, les figures polychromes de la Vierge, du Christ et des saints, où la souffrance physique et la douleur de l'âme sont traduites par un réalisme hallucinant, composaient un répertoire d'art en apparence fermé à l'idéalisme et à la sérénité de la Renaissance. Ainsi, Alonso Berruguete (1488-1561) avait pu passer par l'Italie et travailler à la cour d'Urbino, quand il revint à Valladolid, il s'y montra baroque avant la lettre par son lyrisme douloureux. Plus réaliste et massif, Juan de Juní, Bourguignon hispanisé, prêtait à la statuaire religieuse une allure plus mouvementée et la passion qu'on retrouvera chez les baroques. Le génie particulier de l'Espagne a montré, dès le xvie siècle, un caractère tourmenté, une tension farouche qui prédisposaient les arts plastiques à suivre une seule ligne, du flamboyant au baroque. Par ses universités, ses cercles de savants et de lettrés, l'Espagne parut s'ouvrir à l'influence d'Érasme, à l'esprit d'une réforme humaniste. Mais c'est au contraire chez elle que le catholicisme prit, à la fois sous la férule de l'Inquisition et en dehors d'elle, l'intransigeance doctrinale que les jésuites espagnols portèrent au concile de Trente. Dans les monastères, la piété suscita des âmes ardentes, nourries des écrits des mystiques rhénans, et quelques-unes parvinrent elles-mêmes aux sommets de la mystique. La dévotion espagnole}, sensible et grave, fut diffusée par les ordres religieux et, à des degrés différents, elle imprima sa marque à toute l'Europe catholique du xviie siècle. Cette forte individualité religieuse de l'Espagne comme, dans le domaine des lettres, la réussite de son théâtre et d'œuvres universellement admirées (Don Quichotte...), expliquent à la fois son rayonnement au-dehors et la singularité de ses grands artistes. Ni le Greco à Tolède (1614), ni à Séville Zurbarán (1598-1664) ne peuvent[...]
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Écrit par
- Claude-Gilbert DUBOIS : professeur à l'université de Bordeaux-III-Michel-de-Montaigne
- Pierre-Paul LACAS : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
- Victor-Lucien TAPIÉ : membre de l'Institut, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
Classification
Médias
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