BARRIÈRE D'ESPÈCE, épidémiologie
Toute maladie infectieuse résulte d'une contamination microbienne de l'organisme affecté par cette maladie. Ce dogme épidémiologique n'a jamais été mis en défaut depuis les recherches dont Robert Koch et Louis Pasteur ont été les protagonistes.
La méthodologie scientifique qu'ils ont utilisée comportait obligatoirement une étude de pathologie expérimentale : comment régissaient les « cobayes » ? S'ils restaient indemnes, c'est qu'ils étaient protégés par une immunité naturelle faisant barrière à l'infection.
Lorsque l'encéphalopathie spongiforme bovine (E.S.B.), dite maladie de la vache folle, apparut en 1985 au Royaume-Uni, l'importance de cette épizootie inquiéta les scientifiques : il s'agissait d'une maladie nouvelle pour laquelle on ne savait pas si la barrière d'espèce entre l'homme et cet agent bovin pouvait être aussi efficace que dans le cas de la tremblante du mouton pour laquelle la barrière exercée par l'espèce humaine vis-à-vis de l'agent pathogène n'avait, semblait-il, jamais été mise en défaut.
Dès 1990, avec la constatation que l'agent bovin franchissait facilement les barrières d'espèces dans les conditions naturelles comme dans les conditions expérimentales, il devenait important de vérifier si la barrière d'espèce était efficace pour l'homme en recherchant des modèles animaux spécifiques (primate, souris transgénique portant le gène prion humain...). L'urgence d'une telle recherche devint évidente après l'annonce officielle, le 20 mars 1996, qu'une nouvelle forme variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvM.C.J.), observée alors chez dix personnes britanniques, pouvait être due à une contamination alimentaire par l'agent de l'E.S.B., présomption démontrée l'année suivante.
Le premier facteur important dans la barrière d'espèce dans le cas des E.S.S.T. consiste dans la sélection de souches infectieuses dans la nouvelle espèce hôte. Elles peuvent être différentes des souches présentes dans l'espèce d'origine, ce qui explique l'absence de réversibilité du pouvoir pathogène d'une souche adaptée à un nouvel hôte vis-à-vis de l'espèce d'origine.
Lorsqu'un agent est transmis d'une espèce donnée à une nouvelle espèce, le temps d'incubation sera très long lors du premier passage. Cela a été démontré chez la souris avec l'agent de l'E.S.B. Ainsi, ce n'est qu'après plusieurs passages sur souris que l'adaptation se traduira par 100 p. 100 de mortalité avec un temps d'incubation beaucoup plus court et constant . Le rôle d'une espèce « relais » a pu être démontré dans le cas de la maladie du dépérissement chronique (M.D.C.) qui frappe le cerf mulet. L'adaptation de la souche M.D.C. au hamster ne peut se faire que par le passage par une autre espèce comme le furet. Cette transmission via le furet sera d'autant plus efficace (c'est-à-dire avec une durée d'incubation plus courte et peu de survivants parmi les hamsters inoculés) que la souche M.D.C. aura été adaptée au furet par plusieurs passages.
Le second facteur important dans la barrière d'espèce est la compatibilité de la PrP (protéine prion) du donneur avec celle de la nouvelle espèce hôte. Ce sont des expériences de transgenèse qui ont montré l'importance de la PrP dans la barrière d'espèce. On peut en effet franchir la barrière d'espèce en faisant exprimer par l'animal inoculé un gène PrP étranger. Ainsi, des souris transgéniques exprimant le gène PrP hamster peuvent devenir sensibles à un agent PrPres de hamster alors que la souris normale est résistante à cet agent, comme l'a montré Prusiner. En fait, ces souris transgéniques ont accumulé de la PrPres de hamster et non de souris car leurs cerveaux[...]
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Écrit par
- Jeanne BRUGÈRE-PICOUX : professeur à l'École nationale vétérinaire d'Alfort (pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour)
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