AMENGUAL BARTHÉLEMY (1919-2005)
L'œuvre d'écrivain de cinéma de Barthélemy Amengual est considérable, autant par sa quantité (une douzaine d'ouvrages et une multitude d'articles) que par l'acuité de son propos. Comparable aux meilleurs analystes français de sa génération (tels André Bazin ou Henri Agel pour le classicisme de la langue, plus que par les orientations de sa pensée, résolument matérialiste), Amengual fut, comme eux, un animateur de ciné-club (à Alger où il naquit et où il milita au sein de l'association Travail et culture). Il rejoint ainsi les grands talents de ce qu'on pourrait appeler une école critique française, parmi lesquels on compte l'historien Georges Sadoul ou encore le théoricien Louis Delluc, sans oublier Jean Epstein ou Léon Moussinac.
Bâtissant plus souvent sur les films que sur les auteurs et les théories, à l'instar d'un André Bazin auquel il se réfère fréquemment, Barthélemy Amengual ne cherchera jamais à fonder un système. Mais sa pensée, nourrie d'une culture qui déborde largement le champ cinématographique, repose sur une méthode de type expérimental : exposition du problème, le plus largement possible, mise en évidence des impasses et tentative de vérification des issues possibles ; dépassement de l'aporie par une ouverture constructive ; formulation des objections, puis mise en formule subtile (« Le paradoxe du réalisme, c'est donc qu'il soit plus illusionniste que le non-réalisme »).
Quoique homme de conviction, il n'appartient à aucune chapelle, se défie des modes, fidèle à ses goûts et à son amour du cinéma. Connu pour Que viva Eisenstein ! (1981), son imposant ouvrage consacré à Eisenstein, il a publié des essais sur Chaplin, Pabst, René Clair, Dovjenko, Poudovkine, Jean Vigo, après un premier livre sur Le Petit Monde de Pif le chien (1955), et il a rédigé deux monographies, l'une sur Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein (1992) et l'autre sur Bande à Part de Jean-Luc Godard (1993). Il a fait quelques traductions, de l'italien notamment (Guido Aristarco, Marx, le cinéma et la critique de film). Son Clefs pour le cinéma (1971) reste l'une des meilleures introductions à l'analyse des films eux-mêmes, tout en moquant, non sans humour, l'excès de théorisation qui sévissait alors.
Rassemblés pour une bonne part dans Du réalisme au cinéma (1997), ses nombreux écrits attestent de son désir de pousser aussi loin que possible l'investigation intellectuelle grâce à l'approfondissement des impressions, des notions, des références ou des œuvres à partir desquelles il développe son jugement. Ainsi de la notion de réalisme qui sous-tend ses écrits et dont il réenvisage continûment, en les affinant au fil de son œuvre, les enjeux pour le cinéma qu'il aime.
Son éloquence résonne à travers les pages toujours denses et passionnées qu'il a disséminées dans nombre de revues ou de collections, au premier titre desquelles Études cinématographiques, Positif, CinémAction, mais aussi les Cahiers du cinémaou, plus récemment, Cinémathèque. Certains de ses textes pour Études cinématographiques constituent de véritables essais : ainsi d'« Une vie recluse en cinéma ou l'échec de Jean Eustache », ou de « Jean-Luc Godard et la remise en cause de notre civilisation de l'image ». Tout aussi éclairées son approche du cinéma italien (du néoréalisme à Fellini ou Pasolini) répartie en divers écrits, son attention portée aux « nouvelles vagues » des pays de l'Est (Jancso, Wajda, Kawalerowicz) ou au cinema nôvo de Glaúber Rocha.
Si son humour vif témoigne d'une attitude sans complaisance, il lui arrive de faire place à une forme d'émotion qui ne s'apparente nullement à un nombrilisme importun. Son étude du Plaisir de Max Ophüls, et singulièrement de « la maison Tellier[...]
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Écrit par
- Suzanne LIANDRAT-GUIGUES : professeur des Universités
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