BARTHÉLEMY D'EYCK Maître du roi René (vers 1415/1419-apr. 1472)
Barthélemy et le roi René d'Anjou
On a longtemps cru que quelques enluminures ajoutées à un livre d'heures de René d'Anjou (British Library, Londres, ms. Egerton, 1070) ont été peintes par Barthélemy lors de la captivité du roi à Dijon en 1435-1436, mais les armoiries ornant ce livre font penser, si l'on suit les conclusions de M. de Mérindol, à une date plus tardive vers l'année 1445 au plus tôt. L'enluminure macabre représentant le roi René mort, mi-squelette mi-cadavre (fo 53 vo), a été certainement peinte en Provence. Elle est caractéristique de la mentalité du roi : étrange coquetterie prémonitoire d'un homme qui découvre dans un « miroir de la mort » un avenir fort sombre. Aimant surtout les romans de chevalerie, le roi René en utilisait les trames pour écrire ses propres compositions. Dans ses narrations, il évoque la nature en observateur attentif aux moindres variations de lumière. Comme s'il écrivait un bon script pour un film, il devait se représenter l' illustration de ses propos et donc les concevoir en fonction de cette illustration, prévoyant l'association, voire la symbiose de l'auteur et de l'enlumineur. Cela explique la légende répandue en 1482 par le père de Raphaël Giovanni Santi et reprise en 1524 par P. Summonte , légende qui faisait du roi René un peintre de talent : « de soa mano pinse bene et a questo studio fu sumamente dedito pero secundo la disciplina di Flandre » ([le roi René] peignait très bien et dans cet art il suivait surtout la discipline des peintres flamands). Or la qualité des enluminures, que nous évoquons ici et que certains historiens de l'art voudraient attribuer à René d'Anjou, dépasse largement le niveau d'un peintre amateur, même excellent. Le roi René aurait pu faire des croquis ou des dessins pour orienter son enlumineur comme l'ont fait d'autres personnages de son temps : Jean Robertet, poète à ses heures, illustre ses recueils par des dessins. Mais on admire l'aptitude du roi à choisir ou à trouver un enlumineur sensible aux inflexions de son style très personnel. Dans son roman du Cœur d'Amour épris, le roi décrit deux « images », c'est-à-dire des statues, du « chastel de Plaisance » : « Et l'estoit l'un appelé Fantaisie et l'autre Ymagination, lesquelles avaient devisé le bâtiment du dit chastel comme maistresses d'euvres. » Deux qualités que son peintre devait également posséder. Et de fait Barthélemy nous fait glisser du texte imagé à l'image qui prolonge le récit en rêve, rend vrai l'invraisemblable.
L'illustration de la première partie d'une traduction de La Théséide de Boccace (O.N.B., Vienne, Cod. 2617), probablement peinte autour de 1465, reflète les expériences d'un peintre de grands panneaux. Sur le folio 39, Thésée, entouré d'Hippolita et d'Émilie, traverse les rues d'Athènes dans un char doré. L'enlumineur se souvient de Rome pour évoquer Athènes. Devant un temple rond (on distingue à l'intérieur une statue du dieu Mars), les veuves des princes tués par le tyran thébain Kréon, habillées en religieuses, désirent inciter Thésée à les venger. Le mélange des souvenirs romains associés à la représentation réaliste d'une ville à la fin du Moyen Âge avec ses nombreux badauds produit un effet étrange et devait rappeler au roi René ses entrées solennelles dans ses villes. Chaque illustration de La Théséide (dont la seconde partie fut illustrée par le maître de Jouvenel) s'oppose à la précédente, mais maintient ce climat de conte de fées. Au folio 53 verso, Arcitas et Palemon en prison regardent par une fenêtre grillagée Émilie assise dans un jardin à l'intérieur du château. Scène toute d'intériorité. Nous participons à l'émotion des deux prisonniers : leurs regards sont tendus vers[...]
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Écrit par
- Claude SCHAEFER : docteur ès lettres, professeur honoraire d'histoire de l'art, universités de Montréal et de Tours
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