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BARTHÉLEMY D'EYCK Maître du roi René (vers 1415/1419-apr. 1472)

« Le Cœur d'Amour épris »

Apogée de l'art de Barthélemy, l'illustration du roman du roi René, Le Cœur d'Amour épris (O.N.B., Vienne, Cod. 2597) est unanimement considérée comme un des chefs-d'œuvre de l'enluminure française. Le roi y raconte, en vers et en prose, la conquête de « Douce Merci » par le galant chevalier Cœur accompagné par son écuyer Désir. Mais ce renouvellement du roman de chevalerie par excellence, le Saint-Graal, n'est pour lui qu'un prétexte pour mettre en scène ses propres sentiments, voire ses rêves. Sur la première illustration, une main invisible, celle de Cœur, tire le rideau de l'alcôve : « Amour hors du corps mon cœur mist / Et à Désir il le soumist. » On pense aux mises en scène du théâtre médiéval. L'enlumineur a réussi le pari d'illustrer littéralement ce propos dans un intérieur et dans une ambiance nocturne. Source de la lumière, une chandelle cachée à droite sous un escabeau fait office de projecteur comme il est d'usage dans la technique des représentations des Mystères. Mais, comme O. Pächt l'a admirablement montré, l'ombre n'est qu'une mutation de l'intensité des couleurs. « Le blanc devient un gris, le rouge une nuance de violet. Ce sont des couleurs sombres, mais ce sont des couleurs. » Cœur nous explique : « Moitié dormant ou rêverie – ou que fut vision ou songe – / avis m'estoit et sans mensonge / qu'Amour hors du corps mon cœur mist / et à Désir le soumist. » La lumière devient l'intermédiaire qui transforme les allégories en réalités. Le cœur, rouge vif, point d'orgue coloriste, passera dans les mains tendues de Désir. Les nombreuses flammèches qui se détachent sur son pourpoint blanc symbolisent l'intensité de sa passion. Amour, aux ailes discrètes bleu-vert, porte un costume oriental. L'ourlet de sa tunique est orné de lettres cunéiformes (René d'Anjou possédait différents abécédaires de lettres étrangères). L'intérieur avec ses tapis, le lit de camp, les emblèmes du roi aux murs (le bâton écoté, l'arbre sec), toutes ces allusions augmentent le contraste entre le réel et le climat surréaliste « songe-mensonge ».

Cœur et Désir passent la nuit dans la forêt de Longue Attente proche de la Fontaine de Fortune (fo 12 vo). Les chevaliers se reposent. Le seul éclairage vient des étoiles. On pense à Uccello. La hardiesse, l'originalité sont encore plus éclatantes dans l'enluminure suivante (fo 15). Le soleil se lève, Désir dort encore, le cheval, crinière et queue blanches, broute. Cœur s'est levé et déchiffre l'inscription : « Sous ce perron, de marbre noir comme charbon, sourd la fontaine. » Au-dessus de la prairie vue d'en haut, le soleil, grand globe entouré d'un nuage scintillant, projette sur le pré les ombres de la haie verte. L'herbe en prend une couleur jaunâtre.

La rencontre de Désir et de Humble Requête, le « poursuivant » d'Amour (fo 31 vo), a lieu dans un paysage ouvert en profondeur. Un effet de perspective curvilinéaire met en valeur la scène du premier plan. Désir vient de s'arrêter. Humble Requête s'approche, salue Désir en enlevant humblement son chapeau fourré. Le paysage prolonge, complète la narration. C'est moins une symbiose qu'un glissement du « coloris » du texte aux nuances des teintes vibrant dans la lumière.

L'avant-dernière enluminure (fo 47 vo) montre l'arrivée des trois amis devant une petite chapelle, après une longue chevauchée : « Ils descendirent de dessus leurs chevaux et entrèrent en la chapelle de l'ermitage. » Désir, vu de dos, voit ce que nous devons retrouver dans le texte : il trouve « l'ermite disant ses complies ». Dans cette véritable étude de la lumière au crépuscule, lumière dorée, rougeâtre qui se détache devant[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur honoraire d'histoire de l'art, universités de Montréal et de Tours

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