LAS CASAS BARTOLOMÉ DE (1474-1566)
L'apôtre de la justice aux Indes
Cette retraite de dix ans (1522-1531) lui permit d'acquérir la formation théologique qui lui manquait et de se préparer aux grandes polémiques doctrinales. Il commença aussi à rédiger ses grands ouvrages : l'Historia de las Indias (pour laquelle il disposa des papiers de Colomb) ; l'Apologetica Historia, défense des civilisations indigènes ; le De unico vocationis modo, traité théorique de l'évangélisation pacifique.
Cependant, la conquête des grands empires du Mexique et du Pérou (1519-1534) avait entraîné, avec de multiples violences, l'extension de l'encomienda à des peuples entiers. Las Casas sortit de sa retraite pour participer au débat toujours renaissant sur l'évangélisation et la politique de la Couronne envers les Indiens. En 1533, il était au Nicaragua, prêchant contre les conquêtes militaires ; puis au Guatemala, où il commença dès 1537 l'évangélisation pacifique de la Tierra de Guerra du Tezulutlan, avec l'aide de la Couronne et de ses frères dominicains. En 1539, il revint en Espagne. Son influence et celle des théologiens thomistes (Vitoria, Melchior Cano, Domingo de Soto) inspirèrent à Charles Quint les Leyes nuevas de 1542 (les Lois nouvelles), qui prévoyaient, avec l'interdiction de l'esclavage des Indiens, la suppression progressive des encomiendas. Las Casas eût voulu davantage, mais la promulgation des Leyes nuevas souleva dans toute l'Amérique la furieuse opposition des colons, qui alla au Pérou, jusqu'à la révolte armée contre le pouvoir royal.
Las Casas avait accepté l'évêché du Chiapas, afin de soutenir l'apostolat des dominicains dans le Tezulutlan voisin, devenu « Terre de la Vraie Paix » (Vera Paz). Dès son arrivée aux Indes, en 1545, il se heurta violemment aux autorités locales et à ses ouailles espagnoles, dont il exigeait l'application rigoureuse des Leyes nuevas en leur refusant les sacrements. L'hostilité unanime des colons et la révolte du Pérou amenèrent Charles Quint à renoncer à la suppression des encomiendas. Après des incidents dramatiques, Las Casas avait quitté son diocèse, pour prendre part au concile provincial de Mexico, dont il inspira les résolutions les plus radicales pour la protection des Indiens.
Après son retour définitif en Espagne (1547), il se consacra à la rédaction de traités doctrinaux et à l'action politique. Un grand débat sur le problème crucial de la légitimité des guerres de conquête l'opposa au docteur Sepúlveda, qui soutenait que la barbarie des Indiens en faisait les « esclaves par nature » des nations civilisées : à cette théorie d'origine aristotélicienne, Las Casas répondit dans son Apologia, en affirmant sa thèse de la liberté naturelle de tous les hommes. La controverse, organisée à Valladolid sur cette question en 1550, n'aboutit à aucune décision officielle, mais les idées de Las Casas inspirèrent la législation postérieure, souvent mal appliquée, il est vrai (1550-1551). En même temps, pour frapper l'opinion, il fit imprimer à Séville, sans licence, une série de traités polémiques, dont la Brevísima Relación de la destrucción de las Indias (qu'il avait rédigée dès 1542), promise à une immense diffusion en Europe, et il reprit la rédaction de l'Historia de las Indias.
Plus que jamais, il continuait d'agir en faveur des Indiens, dénonçant au roi et au Conseil des Indes les abus que lui signalaient ses correspondants en Amérique, luttant avec succès contre la perpétuité des encomiendas. La rigueur de ses positions doctrinales ne fit que se renforcer. Il dut renoncer avec le temps à l'espérance millénariste d'une régénération de la chrétienté par l'évangélisation des Indes ; cependant, ses derniers traités, le De thesauris et Las Doce Dudas, écrits à l'âge[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre BERTHE : maître assistant à l'École pratique des hautes études, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales
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