TORRES NAHARRO BARTOLOMÉ DE (1482?-? 1531)
Né en Estrémadoure, soldat en Italie, serviteur à la cour de Léon X, Torres Naharro écrit et joue, pour le public cosmopolite de Rome, des pièces de théâtre créées le plus souvent au gré des circonstances. Il semble avoir regagné l'Espagne vers 1520, après un séjour à Naples. Les lacunes de la biographie rendent hasardeuse la relation entre le désenchantement d'une partie de son œuvre et les désillusions supposées de sa vie. La Propaladia (Prémices de Pallas), dont la première édition de Naples, en 1517, sera reprise, augmentée, mise à l'index (1559) puis expurgée (1573), rassemble toutes ses œuvres poétiques et dramatiques sous un titre malicieusement pédant. Son théâtre (un dialogue pastoral, Diálogo del Nascimiento, proche encore des églogues de Juan del Encina et huit comédies en vers) retient davantage l'attention que sa production poétique.
Torres Naharro présente lui-même les caractéristiques de l'ouvrage dans le Prohemio (prologue) et définit sa conception de la comédie. Ce texte, un siècle avant Lope de Vega, raille le délire taxinomique des théoriciens et reste un document de référence sur la pratique théâtrale des classiques espagnols. Après une définition de la comédie, « agencement ingénieux d'événements étonnants ayant une fin heureuse », il distingue deux catégories : la comedia a noticia, dont l'argument est tiré d'une observation de la réalité ; la comedia a fantasía, où l'imagination prend le pouvoir dans les limites de la vraisemblance.
Torres Naharro classe dans la première catégorie deux comédies où il a stylisé son expérience. La Soldadesca, par son tableau sans complaisance ni recours aux références classiques de la vie des militaires espagnols en Italie, et la Tinelaria, magnifique évocation du tohu-bohu d'un office de palais romain, tour de Babel et caverne de brigands, appartiennent sans conteste à cette veine d'inspiration « réaliste », encore que le réel, devenu théâtre, ne soit plus simple instantané documentaire mais réélaboration magistrale de séquences désormais conventionnelles sur les scènes italiennes et sur l'influence de la Celestine. Mais les comedias a fantasía sont loin de présenter la même cohérence de conception. Rien de commun entre la Jacinta, simple déploration statique comme un oratorio, et les débordements et rebondissements de la Calamita et de l'Aquilana. L'humour de Torres Naharro le conduit souvent à enfreindre la loi de la vraisemblance pour dénoncer les thèmes conventionnels comme le suicide (Serafina), quand il ne se sert pas, à l'inverse des ingénieurs de son temps, des machineries pour détruire l'illusion dramatique (Trophea).
La Comedia Himenea, imitation de la Celestine et préfiguration parfaite de la comédie d'intrigue lopesque, resterait donc le modèle de la comedia a fantasía. En fait, le théâtre de Torres Naharro forme une totalité qu'il faut saisir dans la progression d'une démarche empirique à l'intérieur d'un cadre immuable : introduction confiée à un paysan madré, suivie de cinq actes. Peu importe l'évaluation de sa dette envers ses contemporains ou la probabilité de son influence future sur la comedia du Siècle d'or. Il faut reconnaître à cette œuvre la singularité, et non pas l'isolement, d'une dramaturgie qui s'impose par la qualité, le naturel de son langage et l'évidence de sa maîtrise.
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Écrit par
- Bernard GILLE : agrégé d'espagnol, maître assistant à l'U.E.R. d'études ibériques de l'université de Paris-IV
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