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BARTON FINK, film de Joel et Ethan Coen

Le lieu des fantasmagories

Barton Fink est peut-être le premier film des Coen où l'intrigue, à force d'être réduite et stylisée, laisse transparaître le thème : ici, l'angoisse de la page blanche, la stérilité littéraire, l'impuissance artistique, ainsi que la coupure entre l'artiste et une réalité qui lui inspire des sentiments phobiques. Un thème traité plusieurs fois au cinéma, notamment dans The Shining (1980), de Stanley Kubrick, qui est sans doute une des sources de cette œuvre (l'idée du lieu hanté, des couloirs d'un hôtel, la paranoïa...). Écrivain de gauche aux idées généreuses, issu de l'intelligentsia juive de la côte est, Barton Fink s'enflamme pour la bonne cause, mais quand il est « en contact » avec un vrai personnage, il ne sait pas écouter son voisin, qui lui répète « I could tell you some stories », « je pourrais t'en raconter des histoires ». La vie réelle n'est pour lui qu'un cliché misérabiliste, et il ne sait pas la voir quand elle se manifeste, même sous forme de cauchemar, à ses côtés. « You dont' listen ! », s'exclame Meadows.

Le film traite également de la judéité, et s'inspire de l'univers de Franz Kafka, ainsi que du Locataire (1976) de Roman Polanski. Non seulement à cause du sentiment d'altérité du personnage principal, mais aussi parce que le film montre plusieurs figures aussi contrastées que possible, véritables « types » de juifs américains, tendrement caricaturés. Face à eux, des personnages qui sont des images de la puissance et de l'aisance dans la vie, même si elles sont déchues : l'écrivain Bill Mayhew, ou le puissant Charlie. Barton est un personnage pathétique, qui a peur de tout, pour qui les autres sont toujours ou trop gentils et trop chaleureux, ou au contraire trop agressifs. L'abondance des plans subjectifs au début du film contribue à nous enfermer avec lui dans sa paranoïa.

Le film réalise un véritable tour de force : la moitié des scènes se déroulent dans la chambre d'hôtel sombre, sans vue, de l'écrivain, lui conférant une atmosphère confinée, étouffante. Le scénario réduit au minimum les scènes d'extérieur (une seule conversation en plein air entre Mayhew, Barton et Audrey), ce qui donne un film claustrophile, insomniaque, où la différence entre jour et nuit semble s'estomper. Los Angeles n'est qu'un tout petit coin d'arbres, et à la fin un tout petit bout de plage avec un rocher frappé par les vagues. Le film se déroule comme un cauchemar éveillé, ponctué par les bruits chuintants de portes de chambres d'hôtel qui donnent sur un couloir éternellement vide. Du tandem, on peut préférer d'autres films, plus truculents et généreux en idées et en situations (notamment The Big Lebowski, 1998), mais c'est bien Barton Fink, aidé par une excellente interprétation de John Turturro (convaincant en écrivain stérile et terrifié), et John Goodman (mélange étonnant de masse physique et de finesse) qui ont imposé leur univers.

— Michel CHION

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Écrit par

  • : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III

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