BASIE WILLIAM dit COUNT (1904-1984)
Sous le signe du swing
Count Basie laisse en héritage une abondante moisson de thèmes – One o'Clock Jump, Jumpin' at the Woodside, Topsy, Jive at Five, Shoe Shine Boy, Harvard Blues, Rusty Dusty Blues, The King, The Mad Boogie, Mutton Leg, High Tide, Nails, Kid From Red Bank, Lil'Darlin', Rat Race, Lester Leaps In... – qui, pour beaucoup, symbolisent la perfection absolue du swing.
Comme celui de Duke Ellington, le monde musical de Count Basie est d'une cohérence parfaite. Dès les premières mesures, il est immédiatement identifiable. Certes, au fil des ans et selon les arrangeurs, une évolution se dessine. Notamment dès le début des années 1950, qui voient rythmes et harmonie atteindre une plus grande richesse et la flûte trouver dans l'orchestre de jazz une place inattendue. Mais son style apparaît d'une étonnante stabilité. Car, dès les origines, Count Basie écrit pour l'orchestre et pour lui seul.
Duke Ellington pense plus à ses solistes qu'à sa formation instrumentale. Quand il ne leur dédie pas de véritables concertos, il compose en fonction du tempérament de musiciens qu'il connaît parfaitement – entrer chez le Duke, c'est pratiquement signer un engagement à vie –, il construit ses pièces en enchaînant leurs interventions. Les chaleureuses couleurs qu'il obtient résultent plus d'une originale synthèse de fortes individualités que d'une vision d'ensemble. Rien de tout cela chez Count Basie. S'il réserve une large part aux solos, il n'écrit pas pour eux. Tout est subordonné à la cohésion de l'ensemble, au phrasé de la masse orchestrale. Des riffs sobres par sections entières s'opposent aux envolées personnelles, cantonnées dans un cadre très strict, avec parfois des effets de surimpression sur la marche rythmique que l'orchestre semble poursuivre inexorablement. L'essentiel pour lui est d'obtenir une mise en place parfaite et une impeccable précision. Poursuivons la comparaison. Chez Duke Ellington, depuis les rugissements de la période jungle jusqu'aux harmonies étranges des années 1940, l'essentiel demeure la recherche de l'expression, pour ne pas dire de l'expressionnisme. Ce qui est au centre des préoccupations de ce gigantesque laboratoire qu'est l'orchestre du Duke, c'est l'exubérance des couleurs, la quête d'une sorte d'ivresse chatoyante. L'exotisme des rythmes – hésitant entre le paroxysme et la sérénité –, les alliages audacieux de timbres définissent un style qui n'appartient qu'à lui. L'art de Count Basie est infiniment plus abstrait. Un seul but : obtenir, par une rigoureuse alchimie, un corps pur habituellement instable, le swing. Rien ne doit détourner l'attention ni entraver la marche du rythme triomphant. Les tempos choisis sont volontairement retenus. Basie fuit tout ce qui pourrait ressembler à de l'exhibitionnisme. Pas de délire, mais la recherche permanente de l'équilibre du mouvement, d'une pulsation à la fois souple et robuste, assise sur une solide section rythmique que Count Basie n'hésite pas à faire jouer souvent à découvert. Une puissante poussée collective, une démarche d'une rare élasticité, une douce euphorie née de la netteté du trait, de l'économie des effets et du contrôle des plans sonores, tels sont les aspects majeurs d'un art qui aime l'évidence et la limpidité.
On pourrait, sans compromettre l'essentiel, effacer les prestations – souvent peu exceptionnelles – de Duke Ellington au piano. On ne peut imaginer l'orchestre de Count Basie sans les interventions de son chef au clavier. Catalyseur irremplaçable, il relance sa « machine à swing » par des ponctuations incisives, de courtes phrases avares de notes, interventions essentiellement situées dans le registre aigu qui se détache[...]
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
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Média
Autres références
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