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BASSE POLITIQUE, HAUTE POLICE (H. L'Heuillet) Fiche de lecture

Si la police, à la fois honnie et désirée, omniprésente dans le quotidien des cités modernes, a si peu été interrogée quant à son statut historique et philosophique, cela tient aux difficultés d'en dégager l'essence. Identifiée aux formes de l'État, son essence se dissout dans les questions liées aux institutions du politique ; vouée à la défense de l'ordre public, elle intéresse plus souvent les sociologues. L'originalité de l'essai d'Hélène L'Heuillet, sous-titré Une approche historique et philosophique de la police (Fayard, 2001), est de soutenir au contraire que la police ne saurait être réduite à un simple bras séculier de la politique, dans la mesure où elle est « constitutive de sa structure et participe de la définition de ses fins ». Cette perspective implique un renversement des visions coutumières : continuer à parler de « haute politique » et de « basse police » contribue à la fois à donner trop au politique, ou pas assez à la police en tant que simple écho des dysfonctionnements du lien social. Haut et bas mêlent toutefois leurs motifs. La « basse politique » est « la politique de la décision et de l'ordre, de l'évaluation des circonstances ». La « haute police » est caractéristique de la conscience de soi d'un corps qui s'autonomise par rapport aux rôles que la politique lui impartit. Si c'est Louis XIV qui, en mars 1667, décide la création d'une police distincte de l'institution judiciaire, la naissance de la police est inséparable de la rationalité moderne et de l'émergence des grandes cités. Il faudra donc tenir compte de ce que son existence nous dit, malgré ses mutations, sur une époque qui, n'en déplaise aux postmodernes, est encore la nôtre.

Protée, le conseiller du politique, Hercule, le gardien de l'ordre, Argus, qui identifie et reconnaît, sont les trois figures mythiques qui viennent guider les analyses de l'auteur. Tout à la fois « bras séculier » du pouvoir et « œil » de l'État, la police se présente à l'analyse dans la multiplicité et l'ambiguïté de ses fonctions, oscillant entre la proximité et la distance. C'est la mesure de ces écarts qui permet de cerner, par des analyses minutieuses, l'essence insaisissable de la police. La fonction de prévision semble, dès le xvie siècle, prendre le relais de celle de prudence, attachée depuis Aristote à l'art de gouverner. En tant qu'elle doit assumer les tâches de prévision, la police apparaît fondamentalement liée à la politique. Mais il ne faut pas négliger que, pas plus que la politique ne se réduit à l'art de poser des fins, la police n'est celui de disposer des moyens. Agissant dans l'urgence, en contact quotidien avec le contingent, la police est « instrument autonome ». Elle « augmente l'autorité en collectant un savoir sur l'autre tout en entretenant l'ignorance sur soi ». « Basse politique », elle est déjà « haute police ».

La seconde figure, la plus évidente, celle qui fait la visibilité et la finalité de la police au cœur des cités, est celle du maintien de l'ordre. Mais, ici encore, ce serait réduire la police à une tâche subalterne que d'y voir un simple recours dont disposerait la « haute politique ». « Le maintien de l'ordre est plus qu'une fonction de la police, c'est une idée de la politique. » La notion d'ordre est difficile. Elle apparaît comme une « forme » qui fait exception au principe de contradiction : « L'ordre est aussi bien ce qui rend les choses disponibles pour la vie que ce qui, déplaçant, censurant, refoulant, tient toute vie pour désordre. » Que la sécurité à assurer dépende de la liberté à garantir – finalité des États démocratiques[...]

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