TALAS (BATAILLE DU)
La bataille du Talas vit s'affronter en 751 au cœur de l'Asie centrale les Chinois et les Arabes qui en furent les vainqueurs. Trop souvent méconnue des chronologies occidentales, elle est pourtant d'une importance considérable, tant par ses conséquences sur le devenir politique du continent que pour son histoire culturelle. C'est là une étape cruciale pour qui veut comprendre les tenants et les aboutissants de la plus actuelle des géopolitiques. Tout en imposant une limite aux ambitions chinoises vers l'ouest, elle marqua en effet le point extrême du déploiement arabe vers l'est, constituant à cet égard comme un contrepoint oriental et victorieux à la bataille de Poitiers (732). La Transoxiane serait amenée, avec le temps, à devenir islamique et non chinoise, et dans les oasis d'Asie centrale l'islam entrerait en concurrence avec le bouddhisme.
Dès 712, l'année même de la conquête de l'Espagne, les Arabes annexaient la Transoxiane : Boukhara et Samarkand, puis, l'année suivante, Tachkent (à l'époque appelée Chach) et le Ferghana. Coalisés, les rois de ces villes-État sogdiennes demandèrent l'aide de l'empereur de Chine qui revendiquait alors la suzeraineté sur l'ensemble de l'Asie centrale et y levait tribut. Mais les Chinois, longtemps restés sourds à ces appels, ne réagirent vraiment qu'à partir de 747, dans le cadre d'opérations visant à contrecarrer les menaces tibétaines sur l'axe commercial reliant l'Inde à la Chine. Une expédition militaire chinoise avec à sa tête le général coréen Kao hsien-chih (Kao Sien-tche), gouverneur de Quça (Koutcha), expédition à laquelle s'était rallié le souverain du Ferghana, fut chargée de prévenir une éventuelle jonction des Arabes et des Tibétains et mit en fuite ces derniers. Sans doute enivré par son succès, Kao hsien-chih voulut ensuite s'emparer des richesses du roi de Tachkent et le décapita. Accourus de Boukhara à l'appel du fils du roi assassiné, les Arabes, avec à leur tête le général Ziyad ben Salih, affrontèrent les Chinois sur le Talas. Le changement de camp, à la dernière minute, de la tribu turque des Qarluqs des steppes de l'Imil et du Tarbagataï, contribua à assurer la victoire des Arabes. Les Chinois en déroute repassèrent la montagne pour refluer vers le Ferghana, frayant leur voie à force au travers des cols et des défilés en massacrant leurs alliés de la veille.
De tout temps objet de bien des convoitises, la basse vallée du Talas se trouve à l'ouest du grand lac Issyk-koul, au sud-ouest du Semiretchié, à mi-chemin entre les villes modernes de Bichkek (Kirghizie) et Tachkent (Ouzbékistan) sur le territoire de l'actuelle république du Kazakhstan. Elle s'étend au pied du contrefort septentrional des Tianshan, au moment où le torrent s'assagit en rivière avant d'aller se perdre dans les sables d'un désert qui, au fur et à mesure que l'on remonte vers le nord, se transforme en steppe herbeuse. Elle marque ainsi une zone mixte où deux mondes s'interpénètrent : celui des oasis de l'Asie centrale, étapes régulières sur les routes caravanières reliant l'Occident à la Chine, et celui des immenses étendues steppiques ouvertes aux entreprises nomades. Là, dans les steppes du Talas, avait déjà failli naître, au début de la seconde moitié du ier siècle av. J.-C., un empire hunnique de l'Ouest issu de la migration vers l'Aral d'éléments fuyant la Mongolie à la suite de la lutte de deux chefs pour le pouvoir suprême. Mais les Chinois, qui protégeaient celui qui leur avait fait allégeance et s'était installé dans les campements ancestraux de l'Orkhon, décapitèrent bien vite son rival. Plus tard, au xiiie siècle, des descendants de Gengis-Khan eurent là leurs résidences d'hiver et[...]
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Écrit par
- Véronique SCHILTZ : maître de conférences en archéologie et histoire de l'art antique à l'université de Besançon
Classification
Média