BAZAR
Aspects institutionnels
Ce n'est pas ici le lieu de faire le point sur les divers problèmes posés aux islamologues par l'évolution de la notion de hisba et les rapports unissant le muhtasib à son prédécesseur, le « maître du marché » (Sāhib al-sūq), plus ou moins dérivé de l'agoranomos antique. On se contentera de rappeler que la composante morale et religieuse de la tâche du muhtasib restera toujours sensible, mais que les limites de ses devoirs, par rapport à ceux du qadi ou « juge » et de la shurta ou « police », n'étaient pas clairement définies. Les peines qu'il pouvait infliger allaient de la fustigation au bannissement, en passant par l'exhibition infamante et la confiscation des marchandises ne correspondant pas aux normes. Quant à sa fonction de surveillance du marché, elle consistait dans la vérification des poids et mesures et dans le contrôle de la qualité des objets proposés à la vente : le muhtasib devait guetter les fraudes commerciales, contrôler le bon aloi des monnaies (dans les cas où il n'y avait pas un préposé à cet office) et veiller au respect rigoureux de l'interdiction coranique de l'usure. S'il contrôlait les prix, il n'avait cependant pas le droit de les fixer. La surveillance du marché comprenait celle des apothicaires et médecins ainsi que celle des maîtres d'écoles coraniques qui, apparemment, avaient tendance à punir trop brutalement les enfants. On ajoutera que, le muhtasib devant encore veiller au respect des normes de sécurité dans la construction des maisons et dans l'installation des boutiques, s'occuper du nettoyage des rues et du bon état des remparts, assurer enfin l'approvisionnement et la distribution de l'eau dans la ville, ses activités de « surveillant du marché » ne correspondaient qu'à une petite partie de ses tâches. Il se faisait généralement aider par quelques agents subalternes, notamment un amīn ou arīf pour chaque métier, c'est-à-dire « un homme de confiance appartenant à la profession » (Goitein) qui l'assistait dans l'exercice de ses fonctions pour le métier correspondant. Si la charge de muhtasib subsista dans la plupart des pays islamiques jusqu'à l'occidentalisation des xixe et xxe siècles, son rôle réel varia selon les lieux et les époques.
Le problème des institutions propres au bazar ou sūq touche évidemment à celui des corporations professionnelles en islam, sujet qui a suscité des polémiques passionnées parmi les spécialistes du xxe siècle. L'état actuel des recherches permet d'affirmer que le monde islamique médiéval ne connaissait pas de véritables corporations fondées sur l'exercice d'un métier. Des documents conservés dans une synagogue du Caire ont montré à l'évidence que les mondes de l' artisanat, du négoce et du capital, tous concentrés et entremêlés dans l'espace du bazar, fonctionnaient dans une ambiance de libéralisme peu compatible avec des structures corporatives institutionnalisées. Jusqu'au xiie siècle au moins, l'organisation du travail était caractérisée par une spécialisation professionnelle qui paraît aujourd'hui étonnante et par une liberté d'action favorisant l'esprit d'initiative. Des associations professionnelles existaient, elles étaient même fréquentes, mais leurs statuts et leur durée étaient extrêmement variables. La corporation au sens occidental était inconnue de l'islam médiéval. Du reste, l'arabe n'a pas de terme vraiment équivalent à cette notion qui correspondait, dans l'Occident médiéval, à une organisation d'artisans et de marchands obéissant à des règles et statuts précis pour garantir la qualité de la production, surveiller le travail de ses membres et, parallèlement, les protéger contre la concurrence, veiller aussi de façon très précise à la formation des apprentis et à leur intégration[...]
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Écrit par
- Marianne BARRUCAND : professeure d'histoire de l'art et d'archéologie islamiques à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Médias
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