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BE-BOP

Au début des années 1940, quelques jazzmen, parmi lesquels Charlie Parker, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk, se retrouvent lors de jam-sessions à New York. Ils y expérimentent une nouvelle forme de musique improvisée qui modifie profondément la couleur sonore du jazz : le be-bop.

Au début des années 1940, à la faveur des jam-sessions* et autres after hours* organisées régulièrement au cabaret Minton's Playhouse de la 52e Rue de Manhattan, un petit cercle de musiciens va expérimenter une forme moderne et révolutionnaire de musique improvisée afro-américaine, le be-bop.

Alors que les grandes formations du swing proposent une musique qui sert surtout de support à la danse, Dizzy Gillespie, Charlie Parker ou Kenny Clarke s'inspirent du phrasé ou des audaces harmoniques du guitariste Charlie Christian (At Minton's, 1941) et du pianiste Thelonious Monk pour faire faire un pas de géant à la « composition instantanée ». Dans le sillage du symbolique Salt Peanuts de 1942, ces expérimentations vont entraîner une modification profonde de la couleur sonore du jazz, et le bop deviendra l'expression majoritaire des jazzmen des années 1940 et 1950.

Les tenants de l'« entertainment » et des airs à la mode sont choqués par ces personnages hautains qui rivalisent de technique instrumentale, réharmonisent les standards et prennent toute sorte de poses vestimentaires (le béret et la barbichette de Dizzy Gillespie). Être « hip* » se traduit souvent par une désocialisation, parfois accentuée par la prise régulière de drogues dures.

La grève des musiciens de 1942 à 1944 a pour conséquence un arrêt des enregistrements. Elle favorise néanmoins, après coup, l'émergence d'éditeurs phonographiques indépendants qui pressent en petites quantités des disques novateurs vendus à un public d'initiés. Ces mordus de la première heure, qui éditeront des enregistrements sommaires du Minton's, sont lassés des « beaux timbres » et des orchestrations élaborées mais figées du swing. Ils se passionnent pour ces pièces qui commencent par des thèmes joués à l'unisson, comme un avertissement au timbre dur. Bien d'autres traits sont déstabilisants pour le novice : les tempos, la rythmique, qui s'appuie sur une cymbale ride* linéaire et une contrebasse en marquant les temps, et les bombs* de grosses caisses et de caisses claires, ponctuations qui « poussent » les solistes (Kenny Clarke).

Les conceptions harmoniques évoluent vers la polytonalité par l'enrichissement des accords en superstructure. Des pianistes comme Al Haig ou John Lewis plaquent des block* chords des deux mains, laissant la contrebasse occuper l'infrastructure. Progressions par quartes, accords de quinte diminuée, gammes par ton (Bud Powell), accords de passage, incrustation d'accords de mineur septième du deuxième degré avant les accords de dominantes, divers procédés de réharmonisation, comme la fameuse substitution tritonique, produisent autant de nouvelles sonorités capables de supporter des paraphrases mélodiques frénétiques aux contours plus heurtés (pour les oreilles de l'époque).

Ainsi, à la faveur d'une réharmonisation audacieuse, What Is this Thing Called Love, de Cole Porter, devient Hot House. De son côté, Charlie Parker complexifie le blues (Billie's Bounce, 1945). « Bird », génie de l'improvisation, bouleverse les conceptions mélodiques par la cohérence de son flux discursif. Il est le maître de cet art de la composition instantanée et interactive, où le phrasé est rendu inventif par l'utilisation de notes* fantômes et, en particulier, par le décalage des accents (Donna Lee, 1947). Au timbre rond, il préfère la suggestion d'un tempo dédoublé ou les ballades très lentes (Lover Man).

Le pianiste Lennie Tristano théorisera ces conceptions tout en mettant en garde les musiciens[...]

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Écrit par

  • : compositeur, auteur, musicologue et designer sonore

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