BE HAPPY (M. Leigh)
Intitulé dans la version originale Happy-go-lucky (« Insouciant/e »), le nouveau film de Mike Leigh aurait pu être sous-titré « La mélancolie du bonheur », plutôt que Be Happy – une injonction qui réduit quelque peu le propos de l'auteur.
Après Vera Drake (2004) – un personnage de faiseuse d'anges, qui, à sa façon, désirait également le bonheur des autres –, Mike Leigh esquisse avec Be happy (2008) le portrait de Poppy (Sally Hawkins), une jeune trentenaire, institutrice de son état, optimiste convaincue et irréductible, évoluant à la manière d'un nouveau Candide dans un Londres qui cède aux pressions de l'immobilier et « réhabilite » de nouveaux quartiers, comme Camden Town. Après Bleak Moments (1971) et Naked (1993), versions sombres de ce nouvel opus, le réalisateur poursuit son étude de l'Angleterre contemporaine, à la fois victime et bénéficiaire de la politique ultra-radicale mise en œuvre par l'ex-Premier ministre, Margaret Thatcher. Comme le firent, dans les années 1960, les cinéastes du Free Cinema – notamment Karel Reisz dans We're the Lambeth Boys – Mike Leigh se situe dans le droit fil de la tradition documentariste anglaise, optant pour un cinéma de comportement en empathie totale avec ses personnages.
Évacuant toute tentation misérabiliste, jouant d'un humour sarcastique, il va donc suivre les picaresques déambulations de la jeune Poppy, plutôt en harmonie avec l'univers qu'elle s'est construit. Un monde régi à la fois par le bon sens et l'utopie, dont elle se fait parfois la prosélyte. Toutes ses rencontres, en effet, lui renvoient une réalité qui ne peut être la sienne, puisqu'elle entonne un hymne à la joie. Revêtue de l'uniforme de la parfaite trentenaire – des vêtements bariolés récupérés de la période hippie –, cliente du marché aux puces, pratiquant le trampoline sans doute pour mieux rebondir, elle s'efforce de défier le pessimisme ambiant. Poppy a bien du mérite, puisqu'elle se heurte aux scléroses de son milieu professionnel, et que l'échec scolaire semble se profiler pour l'un de ses jeunes élèves plongé dans le désarroi affectif. Malgré des collègues quelque peu désenchantés, elle ne se laisse en rien démonter et réussit à innover dans ses rapports avec les élèves.
Poppy équilibre sa vie affective en suivant des cours de flamenco. D'où des scènes particulièrement drôles avec un redoutable professeur espagnol, qui lance quelques savoureuses imprécations dans la langue de Shakespeare – incitations qui ne semblent pas déstabiliser Poppy, toujours franc-tireur avec ses bottes peu adaptées à cette chorégraphie. Elle se laissera encore moins démonter par un libraire baba cool, avec lequel elle essaiera d'échanger quelques propos courtois, qui laissent son interlocuteur imperturbable.
Be happy dépeint une forme d'incommunicabilité contemporaine, revue et corrigée par l'ironie de Mike Leigh. Ainsi de la scène du vol de son vélo, au cours de laquelle Poppy s'efforce de trouver avantages et compensations dans la perte de cet engin utilitaire. Ou cette autre scène, digne du théâtre de l'absurde (Mike Leigh a mis en scène Samuel Beckett), qui la montre en présence d'un clochard inquiétant (Stanley Townsend), et qui remet en question l'aptitude de la jeune femme à vouloir aider les gens malgré eux. À cet égard, sa rencontre avec le moniteur de l'auto-école (Eddie Marsan) constitue le point fort du film : en deux séquences, rendues plus intenses par l'espace clos de la voiture, Mike Leigh met en place un petit théâtre de la cruauté, comme dans ces pièces anglo-saxonnes des années 1970, où le verbe devient l'arme fatale – la claustrophobie révélant ici les sentiments les mieux enfouis.
Inconsciente de la séduction qu'elle exerce et du pouvoir[...]
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Écrit par
- André-Charles COHEN : critique de cinéma, traducteur
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