BEAT GENERATION
L'appel du continent
L'automne de 1946 débarque à New York, en provenance du Colorado, le légendaire Neal Cassady, le gosse de la route né en 1926 à Salt Lake City de parents migrants d'Oklahoma. Il sort de prison, est affamé d'expériences « sur le vif » et « sans entraves ». L'énergie « sauvage » de ce voyou survolté, de cet « ange en salopette », fascine Kerouac et Ginsberg : « C'était l'Ouest, le vent de l'Ouest, une ode venue des Plaines », soufflant dans leur vie jusqu'ici confinée. Cassady fonce, se défonce, et, à sa suite, Kerouac et Ginsberg commencent leurs équipées sauvages à travers le continent : les « cloches » de New York deviennent les « clochedingues » qui se font la belle, cap à l'ouest, et sillonnent le pays. Cassady continuera d'ailleurs jusqu'à la fin cette course effrénée : on le retrouvera au volant du bus bariolé des Merry Pranksters de Ken Kesey (1935-2001) lors de leur voyage transcontinental de l'été 1963 ; en février 1968, il est trouvé inconscient près d'une voie ferrée au Mexique et il meurt d'une surdose de drogue. À Ginsberg, il aura enseigné, tabous levés, la découverte de son propre corps ; à Kerouac, le sens du paysage américain comme un grand livre ouvert. Il y a dans Sur la route du « lyrisme mignard » (Ginsberg), mais aussi un certain charme élégiaque, une mélancolie, comme un mal du siècle né du vertige des grands espaces. « Quel est ce sentiment qui vous étreint quand vous quittez des gens en bagnole et que vous les voyez se rapetisser dans la plaine jusqu'à finalement disparaître ? C'est le monde trop vaste qui nous écrase et c'est l'adieu. Pourtant, nous allons tête baissée au-devant d'une nouvelle et folle aventure sous le ciel. » La beat generation participe ici d'un mouvement général de retrouvailles avec, ou de repli sur, l'Amérique qui tranche sur l'époque des expatriés et est caractéristique des années 1948-1952.
Neal Cassady, ce cow-boy de la frontière, remplaçant, dans un espace recroquevillé, la lente transhumance par la nervosité des raids à fond de train, fut pour Kerouac un lien romanesque avec l'Amérique des migrants d'autrefois. La beat generation renoua ainsi avec la tradition du hobo de Josiah Flynt, de Jack London (The Road, 1907) ou de Vachel Lindsay, et se joua un remake de la migration des pauvres Blancs des Raisins de la colère, sans le mordant politique. Chaque beat donna sa propre variation du vagabond. Le monde de Kerouac est celui d'un lecteur de Spengler attendant, dans le crépuscule de l'Occident, le salut d'un renouveau de la religiosité chez les oubliés de la terre, les « fellahs », ce qui n'est pas sans harmoniques avec le climat politique des années McCarthy. Puis l'influence de Gary Snyder viendra infléchir le vagabond vers le « clodo du dharma », le moine bouddhiste itinérant, le vagabond sous son ombrelle trouée : beat renverra alors à la béatitude, à la disponibilité qui ouvre à une nouvelle perception du monde.
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
Classification
Médias
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