BEAT GENERATION
La mouvance beat
La soirée d'octobre 1955 à San Francisco où Ginsberg lut Howl, la publication en octobre 1956 de ce texte par City Lights et le procès pour obscénité qui s'ensuivit firent éclater le mouvement beat dans le grand public américain. En septembre 1957, On the Road, écrit entre 1949 et 1952, trouva enfin un éditeur. En novembre 1959, la « rébellion » beat eut les honneurs de Life, le magazine illustré des familles. Un journaliste forgea le terme beatnik qui servit rapidement à désigner, comme on l'aurait appelée « zazoue » ou « existentialiste », la bohème des quartiers de Venice West, à Los Angeles, de Greenwich Village, à New York, ou de North Beach, à San Francisco. Du jour au lendemain, l'Amérique fut pleine de beatniks, c'est-à-dire, dans l'image que s'en faisait la grande presse, d'adolescents déguisés en clochards crasseux, cheveux longs et nu-pieds, trouvant des extases mystiques au fond de piaules grouillantes de cancrelats. Ce phénomène social des « rebelles sans cause » n'était pas toujours sans rapport avec le mouvement beat (par exemple, dans son culte de héros à la vie brève et violente comme Dylan Thomas, Charlie Parker, James Dean), mais il en travestissait gravement l'impulsion profonde, de sorte que tous les écrivains qui se sont trouvés un jour ou l'autre placés dans l'orbite de la beat generation se sont acharnés à se démarquer de ce label finalement « insultant » (Ginsberg) : chacun a en effet sa personnalité propre et son propre cheminement que le terme beat brouille plus qu'il ne l'éclaire. Citons-les cependant, en vrac pour ainsi dire ; ils ont en commun de s'être connus, d'apparaître bras dessus, bras dessous sur les innombrables photographies que la beat generation n'a cessé de prendre d'elle-même ; mais tous pourraient dire, comme Gregory Corso, « la beat generation, ça n'existe pas ».
Lawrence Ferlinghetti, dont la librairie City Lights fut à San Francisco le quartier général beat, est né à Yonkers, New York ; après un doctorat à la Sorbonne (1951), il a inauguré sa série des Pocket Poets en 1955 ; il a traduit en anglais Paroles de Prévert et publié en 1960 un roman, Her, proche du Nadja de Breton ou du Nightwood de Djuna Barnes. Philip Whalen (1923-2002) est né à Portland, dans l'Oregon : guetteur d'incendie, poète zen. Bob Kaufman (1925-1986) est né à La Nouvelle-Orléans : à treize ans, il est mousse dans la marine marchande et fait, en quinze ans, neuf fois le tour du monde. Philip Lamantia (1927-2005) est né à San Francisco, il découvre le surréalisme en peinture ; Breton dira de lui qu'il est le seul surréaliste américain. Gregory Corso : né en 1930 à New York, une enfance ballottée de famille adoptive en famille adoptive, puis la prison, puis la rencontre avec Ginsberg. Gary Snyder est né à San Francisco, il participa en 1955 à l'historique soirée avant de partir pour le Japon. Michael McClure était le plus jeune poète de cette soirée : à son intérêt pour la « composition par champ » et la calligraphie s'ajouta plus tard l'obsession du face-à-face entre Billy le Kid (« le Jacob Boehme de l'assassinat ») et Jean Harlow, « le yin et le yang » (The Beard, 1965). Dès qu'on s'éloigne du « noyau originel » (et new-yorkais), la mouvance beat se fait vaste et plus floue.
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
Classification
Médias
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