BECHER BERND (1931-2007) et HILLA (1934-2015)
À partir de la fin des années 1950, Bernd et Hilla Becher photographient des bâtiments et des paysages industriels : hauts fourneaux, chevalements, gazomètres, châteaux d'eau, silos à charbon ou à céréales, usines de traitement, etc. Il leur arrive aussi – mais plus rarement – de photographier des paysages et des maisons anciennes et récentes. La grande particularité de ces deux photographes – qui travaillent en couple pendant près de 50 ans – c'est que chaque sujet, choisi avec soin, est photographié en noir et blanc, à la chambre, et avec une très grande précision dans la restitution des détails du réel. La longueur du temps de pose explique cette finesse mais aussi, en partie, l'absence de tout être humain sur leurs clichés. Ces architectures industrielles, dont la forme est très largement dictée par la fonction, apparaissent comme détachées de leur contexte et la prise de vue, frontale et sans distorsions, leur confère une allure de sculpture. Le premier album des Becher, paru en 1970, s'intitulait d'ailleurs Anonyme Skulpturen, et en 1990, à la biennale de Venise, le couple reçut le grand prix... de sculpture. Au-delà du paradoxe, le trouble qui naît de l'emploi de ce terme, s'agissant d'un travail exclusivement photographique, pointe d'emblée le cœur d'une œuvre qui tient tout autant du document que de l'art.
Entre photographie objective et minimalisme
Bernd Becher est né le 20 août 1931 à Siegen, dans la région très industrialisée de la Ruhr, et décédé le 22 juin 2007 à Rostock. Hilla Becher, elle, est née le 2 septembre 1934 au sud-ouest de Berlin, à Potsdam et est décédée le 10 octobre 2015 à Düsseldorf. Bernd étudie d'abord la peinture à l'Académie des beaux-arts de Stuttgart, puis commence à peindre des paysages de sa région natale avant d'utiliser pour la première fois la photographie, en 1957, dans le cadre de la démolition d'une mine. En 1959, il rencontre Hilla Becher (née Wobeser), photographe de formation et responsable du laboratoire photographique de l'académie de Düsseldorf. Il commence à photographier avec elle les mines et maisons ouvrières de Siegen. Ils ont, d'emblée, une démarche « typologique », qui consiste à photographier les bâtiments en séries, en les classant souvent par destinations et usages mais aussi selon des critères géographiques, historiques et esthétiques. « Les objets qui nous intéressent ont en commun d'avoir été conçus sans considération de proportion et de structure ornementales. Leur esthétique se caractérise en ceci qu'ils ont été créés sans intention esthétique. L'intérêt que le sujet a, à nos yeux, réside dans le fait que des bâtiments à fonction généralement identique se présentent avec une grande diversité de formes », expliquent-ils en 1969. Cette même année, une exposition baptisée Sculptures anonymes fait connaître leur travail jusque-là essentiellement estimé des spécialistes de l'architecture et des ingénieurs. Les clichés du couple sont en effet immédiatement rapprochés – malgré eux – de l'art minimal et conceptuel.
La « pureté » et la simplicité de leur démarche, ainsi que le choix de la répétition et de la sérialité, les rapprochent en effet de certains artistes minimalistes et conceptuels, mais, avec leur aspect purement documentaire voire « encyclopédique », ils s'inscrivent aussi dans la lignée de la tradition de la photographie objective. Les Becher accordent toute son importance au sujet, un sujet qu'il s'agit de représenter avec la plus grande fidélité, sans intention d'effet ni d'intrusion d'une sensibilité individuelle. La réunion de leurs signatures confère d'ailleurs à ce travail une certaine dimension collective. La priorité accordée au référent – la technique n'étant que le moyen d'en rendre compte –, l'aspect typologique[...]
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Écrit par
- Jean-Marc HUITOREL : critique d'art, commissaire d'exposition et enseignant
Classification
Médias
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