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BECHER BERND (1931-2007) et HILLA (1934-2015)

Des « typologies » industrielles et artistiques

Les photographies de Bernd et Hilla Becher sont présentées seules ou par séries typologiques et ensembles de six, neuf, douze ou quinze images de format moyen (variable, mais le plus souvent 30 cm × 40 cm), assemblées selon des critères formels plutôt que chronologiques ou géographiques. Seules les mentions de lieux et de dates des prises de vue accompagnent les images. À l'indiscutable dimension documentaire de leur travail, il convient d'ajouter toutes les caractéristiques de l'œuvre d'art. En effet, la neutralité revendiquée de leur appréhension d'un réel, dont une grande part a disparu ou est en train de disparaître, l'extrême précision de leurs images, prises le plus souvent par temps gris afin d'éviter les ombres, n'empêchent pas qu'on reconnaisse les œuvres des Becher au premier coup d'œil. Qu'ont-elles de si fascinant qu'elles échappent immédiatement au seul statut de simples représentations documentaires ? Un premier élément nous est fourni par la référence au ready-made. A-t-on assez souligné, en effet, à quel point la photographie dite « objective » représentait la forme la plus rigoureuse du ready-made, par le fait qu'un objet du réel, sans propriété artistique, se trouve déplacé, par le prélèvement photographique, vers un cadre (au sens strict) et un contexte artistiques ? Une deuxième raison tient peut-être à la dimension paradoxalement atemporelle et atopique de cette œuvre : malgré les quelques indices qui demeurent, ces objets se dressent dans une royale autonomie, par l'hyper-précision de leur constitution. Enfin, l'objectivité poussée à un tel degré produit un autre effet paradoxal : elle laisse libre champ à ce qu'on pourrait appeler une esthétique du récepteur, c'est-à-dire à la liberté pour chacun d'y projeter, comme sur une peinture abstraite ou sur un monochrome, ses interprétations et ses sentiments, son expérience ou ses souvenirs.

En 1976, Bernd Becher est nommé professeur à la Kunstakademie de Düsseldorf où il inaugure la première classe de photographie « artistique ». Il conservera le poste pendant trente ans (jusqu'en 1996) et l'influence des travaux du couple sur toute une génération d'artistes, parvenus aujourd'hui à maturité, est indéniable. Il suffit de regarder les photographies de paysages urbains de Thomas Struth (né en 1954), les portraits de Thomas Ruff (né en 1958), les architectures désertes de Candida Höfer (née en 1944) ou celles, grouillantes de vies humaines ou d'éléments divers, d'Andreas Gursky (né en 1955), parmi d'autres, pour y vérifier toute la leçon de rigueur et de précision retenue, mais aussi pour y déceler la fausse immédiateté des images des Becher. Cette dernière caractéristique, qui sans doute établit un lien entre cette photographie et la sculpture, Thomas Demand (né en 1964) la pousse jusqu'à son extrême limite en construisant, à l'aide de papier et de carton, des maquettes très soignées, frisant l'illusionnisme, qu'il photographie ensuite. Dans ce qu'il fait de l'héritage reçu de ses aînés, le présupposé conceptuel a certes gagné du terrain ; mais ce qu'on pourrait appeler l'éthique de la prise de vue n'a rien perdu de sa force communicative.

Parce qu'elle est inclassable et qu'elle relève à la fois de la photographie documentaire des années 1920 et des expériences conceptuelles des années 1960-1970, l'œuvre et l'influence de Bernd et Hilla Becher ont été tardivement reconnues. À partir des années 1980, le couple de photographes multiplie les expositions (ainsi au Centre Georges-Pompidou en 2005, au musée d'Art moderne de la Ville de Paris en 2008 et au musée de l’Elysée à Lausanne en 2013), et bénéficie d'une reconnaissance internationale.[...]

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Châteaux d'eau, Bernd & Hilla Becher - crédits : B. et H. Becher

Châteaux d'eau, Bernd & Hilla Becher

Bernd et Hilla Becher - crédits :  Graziano Arici/ Age Fotostock

Bernd et Hilla Becher

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