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SMETANA BEDŘICH (1824-1884)

Il n'y avait plus de musique tchèque, mais seulement des musiciens tchèques. Pour comprendre cela, il faut connaître l'histoire de la Bohême depuis qu'en 1621 la tragédie de la Montagne Blanche avait mis fin à son indépendance. La domination autrichienne étouffa alors toute velléité de culture nationale. Un des premiers martyrs fut Krystof Harant de Polžic, célèbre parmi les polyphonistes de cette ville de Prague qui passait pour être la capitale musicale de l'Europe. La langue tchèque fut bannie, les arts aussi. La musique se réfugia dans les campagnes ; seul le peuple continua à parler et à chanter tchèque. Bourgeois et aristocrates se convertirent par force, par raison ou par habitude à la langue allemande.

Pourtant, Prague continue de fournir les plus brillants musiciens, et l'on peut s'étonner que les artistes de cette Bohême si patriote, si imperméable à la domination culturelle étrangère, slaves par surcroît, se soient si facilement exilés. Il faut donc savoir aussi que, si les Tchèques sont slaves de race, leur culture nationale fut façonnée sous des influences occidentales et unifiée par Jan Hus lui-même. Ainsi s'explique que cette culture, au moment de l'émancipation, c'est-à-dire au xixe siècle, fut parfois tiraillée entre deux pôles d'attraction : l'Occident et le slavisme. Ajoutons enfin que deux révolutions venues de France (1789 et 1848) exercèrent une fascination évidente sur tout individu conscient des réalités ethniques de sa terre natale occupée.

Un musicien « tchèque »

Né dans la campagne de Bohême, à Lytomyšl, Bedřich Smetana connut une jeunesse sans nuages, exempte de soucis matériels, ce qui lui permit d'accéder facilement aux cercles d'intellectuels que traversaient les nouveaux courants nationalistes et révolutionnaires. L'ordre postrévolutionnaire de Metternich laissait peu de chance aux contestataires d'alors, mais le jeune Smetana y forgea son art et sa conscience : « La musique n'est pas une fin en soi mais un des modes de l'expression humaine. » Il puise son idéal chez Beethoven, artiste novateur et homme libre ; Schumann, le passionné ; Chopin, le modèle slave, un musicien confronté avec sa réalité profonde et celle de sa race, qui parle dans son arbre généalogique un langage universel. En 1846, il découvre Berlioz qui inspire la ferveur des artistes « révolutionnaires » aussi bien par ses audaces de chercheur que par ses attitudes de citoyen ; Liszt aussi, un Hongrois dont la virtuosité chevaleresque devient un stimulant. 1848 apporte le goût inattendu de la liberté ; attente vite déçue, noyée dans « l'absolutisme de Bach » (Alexander Bach, nouveau Premier ministre), mais les événements aiguisent les consciences et le sens du combat politique. Le jeune Smetana s'anime, organise des concerts, se produit comme virtuose, fonde un institut de musique. Les années passent cependant, laissant loin derrière les promesses du printemps de la liberté. Seule la vie de famille lui est douce : une jeune femme et une fille... mais la mort emporte cette dernière. Le musicien effondré, ayant composé le beau Trio en sol mineur (piano, violon, violoncelle), s'exile à Göteborg (1856). Le séjour paisible en Suède ne lui apporte rien d'exaltant. De là, il visite Weimar, véritable capitale où règne Liszt. Il trouve dans les poèmes symphoniques du Hongrois la forme apte à exprimer l'idée combattante, à serrer de près la vie politique en la transcendant. Sur ces modèles, il compose Richard III (d'après Shakespeare, 1858), Le Camp de Wallenstein (d'après Schiller, 1858) et Hakon Jarl (d'après le poète danois Adam Oehlenschläger, 1861), trois sujets « politiques » traitant de la domination, de l'usurpation et de la réalité nationale. À Weimar, il réfléchit aussi au problème du théâtre, et[...]

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Écrit par

  • : écrivain et musicologue, secrétaire général adjoint de l'Académie Charles-Cros

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