BEKTĀSHIYYA
À la fois confrérie religieuse musulmane et secte initiatique dérivée du shī‘isme duodécimain, la Bektāshiyya a été fondée au début du xve siècle, mais a pris sa forme définitive au xvie siècle, en Turquie. Comme confrérie, elle était rattachée aux janissaires, dont le corps militaire constituait une sorte de corporation religieuse. Détruits, en 1826, en même temps que les janissaires révoltés, les bektāshī émigrèrent en Albanie, qui devint leur centre privilégié. Dissoute en 1925 (comme toutes les congrégations turques), la Bektāshiyya aurait repris racine en Turquie (30 000 membres en 1952). Aujourd'hui, il y a de nombreux « couvents » (tekke) en Turquie, et d'autres en Grèce, en Bulgarie, en Macédoine, en Roumanie, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Égypte, en Irak (Karbalā'). Celui du Moqattam, au Caire, a été désaffecté (1972). À Budapest, on vénère le tombeau du bektāshī Gul Baba (mort en 1541).
L'Albanie est à majorité musulmane sunnite, mais l'influence des bektāshī y a été importante : cinq cents délégués à l'assemblée générale de janvier 1922, avec six baba (chefs spirituels) autonomes. Pendant la guerre de libération nationale (1939-1944), le baba Faja Martaneshi eut le grade de général, avant d'être assassiné par un autre baba « collaborateur ». En 1953, les bektāshī albanais étaient estimés à cent mille. Il y a aussi des bektāshī dans la « diaspora » albanaise : au Kossovo (un million d'Albanais), en Italie du Sud et en Sicile (100 000), aux États-Unis d'Amérique (70 000, autour de Boston, avec un tekke).
Seuls les bektāshī célibataires vivent dans des tekke à l'emplacement bien choisi, souvent dans des vergers d'abricots. Ils sont vêtus de blanc, avec des toques blanches à douze plis (autant que d'imāms), des poignards à la ceinture et un anneau à l'oreille. Leur religion est un syncrétisme (comme celle des Druzes), parti de l'islam, mais influencé par le christianisme et sans doute par d'autres croyances antérieures. En 1918, La Nazione albanese, mensuel albanais édité à Rome, a publié dans son no 16-17 « Le catéchisme bektāshī » (Il Libro dei Bektasci), signé des initiales N. H. F. — celles de Naim Halid Frashëri (1846-1900), patriote, écrivain et lui-même bektāshī, auteur d'un célèbre poème en albanais sur le martyre de Husayn (Hussein) à Karbalā' (Querbelaja), édité à Bucarest en 1898. On peut y lire que tous les bektāshī ont pour père ‘Alī et pour mère Fātima. Ils adorent la bonté. Ils font le bien, et non le mal. Ils croient que l'homme ne meurt jamais, mais se transforme (métempsychose). Homme et femme sont égaux, mais l'homme le plus chaste est le plus proche de la perfection. La religion est dans le cœur, elle n'est écrite nulle part. Les bektāshī sont les « frères universels ». L'initié (mühüp, de l'arabe muhibb), après avoir « serré la main de Dieu », doit ceindre le ceinturon qui, symboliquement, lui permettait de « se pendre au gibet d'al-Hallāj ». La Trinité Allāh-Muḥammad-‘Alī est souveraine. La prière des agonisants se compose de versets du Coran. Pendant les dix jours anniversaires du mois musulman de muharram, les bektāshī doivent se priver de boire.
En Albanie, les bektāshī sont considérés comme de bons vivants, de grands buveurs de raki, courageux, démocrates et attachés à la liberté individuelle. Leur horreur de la chair du lièvre, animal impur « qui se nourrit de charognes », remonte-t-elle à la Bible (Deut., xiv, 7) ou doit-elle être rattachée aux interdits alimentaires, non coraniques, mais usuels ailleurs (Iran, Syrie, Oranie, Somalie, etc.) ? Max Choublier, hôte des tekke d'Albanie entre 1904 et 1912, les décrit comme des « oasis de paix » et y voit une « image humble mais[...]
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Écrit par
- Vincent MONTEIL : docteur ès lettres, professeur de faculté
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