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BEL CANTO

Rossini ou la renaissance belcantiste

Avec Mozart et contre Gluck, le compositeur de Tancredi, féru de chant, proclame l'assujettissement des mots à la musique et le refus de paraphraser de manière imitative les sentiments du texte théâtral, posant du même coup le principe d'un chant expressif, dédaigneux des effets extérieurs de l'émotion mais attaché à la susciter chez l'auditeur. L'ambition dépasse celle de l'opéra baroque, dont la volonté de stylisation du réel ne s'affranchissait pas du sens littéral du poème. Rossini affirme à ce propos que « l'expression de la musique n'est pas celle de la peinture, [...], elle ne consiste pas à peindre sur le vif les effets extérieurs des émotions de l'âme mais à les susciter chez qui l'écoute », ce qui est le principe même de l'esthétique des affetti propre au bel canto.

Dans les opéras sérieux, qui constituent la part la plus importante de la production rossinienne, le beau chant est donc inséparable des émotions qu'il cherche à susciter. On sait que le compositeur garde la nostalgie des castrats, en qui il voit non seulement d'éblouissants virtuoses mais aussi de vibrants interprètes capables de transmettre d'ineffables émotions. C'est à la voix féminine de contralto qu'il s'en remet pour prolonger l'art de ces chanteurs. L'ambiguïté sexuelle de ces voix de femmes aux graves profonds pérennise la volonté d'idéalisation et d'abstraction de l'époque précédente. Si le contralto se voit offrir les rôles de prima donna bouffe (Clarice de La Pietra del paragone, Isabella de L'Italienne à Alger ou Cenerentola), Rossini lui attribue par ailleurs les rôles d'adolescents au sein de ses œuvres sérieuses. Ce type de contralto musico est ainsi doté d'emplois nobles ou héroïques où il peut déployer une gamme étendue d'émotions, du lyrisme élégiaque à la ferveur extrovertie (Tancredi, Malcolm de La Donna del lago, Calbo de Maometto II, Arsace de Semiramide).

Il n'y a d'ailleurs pas lieu d'opposer, au plan de l'écriture vocale rossinienne, le serio et le buffo. Le compositeur, fidèle à l'héritage mozartien, s'emploie au contraire à conférer à l'opéra sérieux l'animation des ensembles de l'opera giocoso, et à ses opéras légers la virtuosité ample et ornée, d'ordinaire réservée au style serio. Qu'il s'agisse des basses, des ténors ou des contraltos, la rhétorique vocale est le plus souvent interchangeable. Seuls les rôles de composition de l'opéra bouffe se voient assigner un langage spécifique : la syllabisation rapide au service d'un comique de situation caractéristique de personnages comme Dandini et Don Magnifico de La Cenerentola ou Bartolo du Barbier de Séville. À ces derniers n'est dévolue que la dynamique du comique. La poétique musicale de Rossini ne se limitant pas à cet aspect particulier de son génie théâtral, il reste à envisager la part majeure de sa production, consacrée à l'expression du pathétique ou de l'épique, de la magie théâtrale ou de l'héroïsme stylisé, pour lesquels le musicien inscrit sa vocalité dans le droit fil du belcantisme virtuose et éloquent.

Le souci de caractérisation et d'expression primant, chez Rossini, sur la simple exubérance vocale, il importe ici de bien voir que la vocalité fleurie chère au compositeur n'est pas faite de la superposition d'enjolivures gratuites d'une ligne mélodique surchargée d'ornements et de variations. Les mélismes rossiniens sont la chair même de la mélodie et ce qui lui confère son pouvoir expressif en renforçant sa charge émotive. Lorsqu'il décide d'écrire lui-même ses ornements, au lieu d'en laisser le soin à des chanteurs parfois trop soucieux de se faire valoir, le compositeur[...]

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Écrit par

  • : critique musical, agrégé de lettres modernes

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