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BARTÓK BÉLA (1881-1945)

« Que de source pure » !

Les derniers mots de la Cantata profana de 1930 et les conclusions d'une lettre de Bartók un an plus tard nous révèlent l'une de ses préoccupations artistiques. En général, il était peu bavard, surtout lorsqu'il s'agissait d'exposer ses propres idées artistiques ou esthétiques. L'analyse de ses œuvres nous paraît plus révélatrice, sur ce point, que ses écrits ou sa correspondance.

Contre l'éclectisme

En dehors de la pratique et de la théorie musicales, Bartók, par son activité scientifique, était sensibilisé à l'ethnologie et à la linguistique. Il avait appris une dizaine de langues, assez bien pour comprendre et traduire des textes folkloriques, et rédigeait en allemand, en anglais, quelquefois aussi en français et en roumain. Comme ethnologue, il était parvenu à une position préstructuraliste quand il avait déclaré, en 1938, qu'un temps viendrait où toutes les musiques populaires du monde pourraient être ramenées à des formules de base communes, relativement peu nombreuses. Pour lui, langage et style déterminent la pensée musicale. Or le style est issu du langage, soit par le choix arbitraire du compositeur (processus « romantique »), soit par la fréquence de ses éléments (processus « classique »). Les différents langages ont tendance à s'équilibrer quantitativement, s'enrichissant d'un côté, s'appauvrissant de l'autre.

Il y eut des époques, et la fin du xixe siècle en fut une, où le langage, en raison de l'accélération des moyens de communication et de la découverte du phonographe, s'enrichit démesurément et sans contre-partie. Le résultat fut un style éclectique, comme celui de Tchaïkovski, de Sibelius, de Mahler, de Dvořak, de Saint-Saëns, pour ne citer que les représentants les plus éminents de cette époque. Bartók voulait autre chose. Il savait bien que le langage est, par nature, hétérogène, ce qui était pour lui une raison supplémentaire de créer un style homogène. Comment y parvenir à une époque si profondément marquée par l'éclectisme dans tous les domaines artistiques ? À l'aide de la musique populaire.

Pourquoi le folklore ?

Ce schéma pourrait résumer ce qui vient d'être dit à propos de la créativité artistique, au-delà de l'art de Bartók. Il comporte cinq notions différentes entre lesquelles existe un lien organique. La pensée, tout naturellement, est issue du langage qui, de son côté, est fonction des matériaux sonores. Nous entendons par langage l'ensemble des moyens expressifs dont se sert un auteur, une école ou une communauté plus large, à une époque bien délimitée. Il s'agit donc d'une notion à double face, individuelle et collective. Sur le plan collectif, le langage possède des dimensions, certes, très larges, mais mesurables et nullement illimitées. Or la création artistique vise justement à ce qui est au-delà des limites du langage, à ce qui est immesurable. On y arrive grâce au style, par écriture interposée. Mais, puisque le style, quantitativement et schématiquement, est un langage sélectionné, comment peut-il dépasser les dimensions de la base dont il est issu ? Par les nuances de toute sorte et sa mobilité. Si le langage offre le cadre plus ou moins strict de la création artistique, le style en est l'organisme vivant.

Au-delà de ces considérations d'ordre général, voyons comment Bartók a résolu, pour ce qui le concerne, le problème fondamental de la création artistique. Avant tout, par la simplification du langage. Le schéma établi plus haut est fondé sur cinq notions ; dans le folklore il n'en existe que deux, puisque les matériaux sonores et la pensée musicale sont identiques au langage, et l'écriture est, par définition, absente. La musique populaire possède un langage net et bien défini (aspect traditionnel et stable) et un style qui[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur honoraire à l'Institut national des langues et civilisations orientales, administrateur de l'Association pour le développement des études finno-ougriennes, président du comité français Béla Bartók, compositeur, musicologue, ethnologue

Classification

Médias

Béla Bartók, Benny Goodman, Jospeh Szigeti - crédits : Archive Photos

Béla Bartók, Benny Goodman, Jospeh Szigeti

Béla Bartók - crédits : Gabriel Hackett/ Hulton Archive/ Getty Images

Béla Bartók

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