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BELL INÉGALITÉ DE ou THÉORÈME DE BELL

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Formule de mécanique quantique reliant les probabilités de certains phénomènes particulaires, l'inégalité de Bell joue un rôle extrêmement important dans le débat sur l'interprétation de la mécanique quantique. Trouvée en 1964, elle a montré qu'il existait des expériences particulières où les prédictions de la mécanique quantique usuelle (dite de l'école de Copenhague) et celles des théories à variables cachées étaient contradictoires. Les confrontations expérimentales, réalisées au cours des quinze années suivantes, ont obtenu des résultats conformes à l'interprétation de Copenhague, et ont totalement disqualifié les théories à variables cachées locales, tranchant ainsi un débat vieux de plus de quarante années.

Ce débat est né en effet dès les débuts de la mécanique quantique. Il est dû au caractère probabiliste des prédictions de la mécanique quantique et au principe d'indétermination de Heisenberg lié à la dualité onde-corpuscule. Certains physiciens se sont difficilement résolus à accepter une théorie qui ne permettait plus les prédictions rigoureuses auxquelles les équations de la mécanique classique les avaient habitués ; et ils ont établi une distinction entre la réalité précise du système physique et les informations partiellement indéterminées que nous avons sur lui. Albert Einstein lui-même jugeait la mécanique quantique incomplète ainsi qu'il l'exprimait en 1935 dans l'énoncé du paradoxe E.P.R. (Einstein, Podolsky et Rosen) qui est resté au centre de ce débat. D'autres, comme Louis de Broglie, allant plus loin, ont essayé de compléter la mécanique quantique en introduisant des variables cachées, inaccessibles à la mesure, mais qui sont censées cependant caractériser l'état réel du système physique. Jusqu'en 1964 toutes les prédictions expérimentales faites à partir des théories à variables cachées étaient identiques aux prédictions faites à partir de la mécanique quantique de Copenhague ; et rien ne permettait donc de trancher définitivement entre les deux types de théories. Disons seulement que la très grande majorité des physiciens estimait plus sage d'éviter la complication inutile des variables cachées. C'est cette situation que l'inégalité de Bell est venue modifier radicalement.

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Les phénomènes envisagés dans le paradoxe E.P.R. sont ceux où des particules, qui ont été en étroite interaction, s'éloignent ensuite indéfiniment l'une de l'autre. L'exemple très simple proposé par D. Bohm et Y. Aharonov est celui où un système immobile de spin 0 se désintègre spontanément en deux particules de spin 1/2. À cause de la loi de conservation de la quantité de mouvement, les deux particules partent en directions exactement opposées. À cause de la loi de conservation du moment cinétique, les vecteurs spins des deux particules doivent être exactement opposés, de telle sorte que leur somme soit nulle, égale au spin 0 du système initial.

Deux appareils de mesure, placés sur la trajectoire de chaque particule, permettent de mesurer la composante de chaque vecteur spin sur une direction particulière perpendiculaire à sa trajectoire (on peut par exemple, suivant la technique de O. Stern et W.ƒGerlach, observer la déviation de la particule dans un champ magnétique inhomogène perpendiculaire à la trajectoire). On sait que, dans le cas du spin 1/2, on obtient toujours l'une ou l'autre des deux valeurs opposées + 1/2 ou − 1/2, sans valeur intermédiaire possible. Si les deux appareils de mesure observant les deux particules sont orientés suivant la même direction, on obtient à chaque désintégration, pour chaque paire de particules, deux valeurs opposées + 1/2 et − 1/2, de manière à respecter la nullité globale du spin du système total. Si les deux appareils de mesure au contraire sont orientés à angle droit, on mesure deux composantes des spins sur des directions perpendiculaires et il n'y a alors aucune corrélation entre les mesures effectuées ; c'est-à-dire que lorsqu'un des appareils mesure + 1/2 par exemple, l'autre appareil mesure + 1/2 dans la moitié des expériences, et − 1/2 dans l'autre moitié des expériences effectuées. Toutes les théories sont bien en accord avec ces deux configurations simples où les appareils de mesure sont soit parallèles soit perpendiculaires, et où les résultats de mesure sont soit totalement corrélés soit absolument pas corrélés.

Mais on peut aussi choisir pour les deux appareils de mesure deux directions qui sont à 45 degrés l'une de l'autre. Dans ce cas, les phénomènes sont plus compliqués à analyser ; toutefois cette analyse conduit à une corrélation partielle des résultats des mesures des deux appareils. On peut calculer cette corrélation partielle en utilisant les postulats classiques de la mécanique quantique suivant l'interprétation de Copenhague. Mais on peut encore calculer cette corrélation d'une autre manière, en faisant l'hypothèse que l'état des deux particules après la désintégration est déterminé par une ou plusieurs variables cachées ; on fait en outre l'hypothèse que la perturbation apportée par l'appareil de mesure à l'une des particules ne modifie pas les valeurs des variables cachées pour l'autre particule, compte tenu de la grande distance qui sépare les appareils de mesure (c'est en ce sens que les variables cachées sont dites locales : on ne peut pas les perturber à très grande distance). On démontre dans ces conditions que les probabilités des résultats de mesure obtenus doivent obéir à l'inégalité de Bell. Or les résultats calculés avec la mécanique quantique de Copenhague violent l'inégalité de Bell. Ces deux types de théories fournissent des résultats contradictoires et sont donc incompatibles entre elles.

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Depuis la mise en évidence de cette incompatibilité en 1964, plusieurs expériences ont été réalisées. Certaines ont été effectivement réalisées en mesurant les spins de particules matérielles ; mais un grand nombre d'autres ont été effectuées sur des paires de photons, émises simultanément au cours d'un processus unique. Les polarisations des deux photons sont alors liées entre elles de manière analogue aux spins des deux particules. Ce sont des expériences très délicates, où les risques d'erreur sont importants, et l'on n'a pas obtenu une certitude du premier coup. Mais avec le recul d'une vingtaine d'années, les techniques expérimentales se sont améliorées, et la qualité des expériences actuelles ne permet plus de douter de leurs résultats. Ils sont tous conformes à la mécanique quantique de Copenhague et incompatibles avec l'existence de variables cachées locales.

— Bernard CAGNAC

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