NICOLSON BENEDICT (1914-1978)
Pour ceux qui ne l'ont pas connu, Benedict Nicolson restera avant tout l'historien des artistes qui peignaient des scènes nocturnes éclairées à la seule lumière de la chandelle (Ter Brugghen, 1958 ; Wright of Derby, 1968 ; Trophime Bigot et Georges de La Tour, en collaboration avec Christopher Wright, 1974) et l'éditeur précis et méticuleux pendant plus de trente ans de la revue d'histoire de l'art la plus prestigieuse, le Burlington Magazine. Celui qui aura eu la chance de l'approcher ne pourra s'empêcher de se souvenir des habits plus que négligés de « Ben », des longs « trous » de sa conversation, de ses habitudes étranges comme celle, par exemple, qui lui interdisait de franchir tout pont autrement qu'en voiture, taxi ou autobus... Pour concilier les deux aspects si différents de la même personne, il fallait se souvenir que Benedict Nicolson, avec ses excentricités et son immense culture, ses manies et sa curiosité qui ne se limitait pas au seul champ de la peinture, sa chaleur humaine cachée sous une apparente indifférence, était un aristocrate, l'équivalent actuel du « milord anglais » si injustement et si facilement caricaturé dans la Rome du xviiie siècle. Fils de sir Harold Nicolson et de Vita Sackville West, éduqué à Eton et à Balliol College, Oxford, en contact dès son enfance avec le groupe de Bloomsbury, Benedict Nicolson se destina à la peinture et fréquenta l'atelier d'Othon Friesz. Mais il se tourna bien vite vers l'étude des primitifs italiens à un moment où l'Angleterre, sous l'influence des historiens d'art qui avaient fui l'Allemagne nazie, découvrait ces peintres et se passionnait pour une discipline quelque peu négligée jusqu'alors dans ce pays. Il voyage à travers l'Europe et les États-Unis, travaille un certain temps aux côtés de Bernard Berenson dans la villa I Tatti que celui-ci possédait près de Florence, avant d'être nommé, à la veille de la guerre, deputy-surveyor des tableaux du roi. En 1947, il est nommé editor du Burlington Magazine. Dès lors, son temps se partagea entre le grand mensuel anglais et ses travaux personnels.
Benedict Nicolson avait su faire du Burlington Magazine (dont il gardait secret le tirage) une institution – non que tous les articles qui y paraissaient fussent toujours parfaits, mais ils avaient un style, le style Burlington. Leurs auteurs les écrivaient en pensant au journal auquel ils étaient destinés, aux illustrations peu nombreuses et regroupées par planches, ce qu'il fallait concilier avec l'idée toute simple, qu'après tout, ce qui comptait, c'était l'oeuvre d'art dans la vérité de son auteur et de sa date, plus que son contenu iconographique ou iconologique, ou sa signification plus ou moins obscure, ou encore son interprétation freudienne ou marxiste. Car Nicolson défendait une histoire de l'art qui a aujourd'hui en Angleterre ses meilleurs et ses plus célèbres tenants, une histoire de l'art qui accorde la priorité absolue à l'œil, à l'attribution et se défie aussi bien des artifices d'une langue trop fleurie, qui permet souvent de cacher les failles d'un savoir qui, bien qu'il semble minutieux, demeure indispensable que d'une intellectualisation excessive.
Cette histoire de l'art, Nicolson la pratiquait dans ses ouvrages très divers par leurs thèmes : des peintres ferrarais du xve siècle (1950) à l'atelier de Courbet (1973), du catalogue des collections du Foundling Hospital de Londres (1972) aux « listes » des œuvres des suiveurs du Caravage. Dans ces ouvrages, Nicolson savait à la fois éviter le style professoral, la pédanterie, l'hagiographie, la prétention, la froideur et la familiarité. Ce qu'il avait à dire, il le disait non sans humour, avec cette simplicité et cette précision que permet la langue anglaise[...]
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Écrit par
- Pierre ROSENBERG : conservateur au département des Peintures du musée du Louvre
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