FEIJÓO BENITO JERÓNIMO (1676-1764)
On croit souvent qu'à partir de l'effondrement de sa puissance politique et militaire dans le courant du xviie siècle l'Espagne s'est repliée sur elle-même et qu'elle s'est désintéressée du reste de l'Europe. Cette vue est incomplète et superficielle. Il serait plus exact de dire que c'est l'Europe qui s'est détournée de l'Espagne, dans laquelle beaucoup ne voulaient voir qu'une nation dégénérée, abrutie par l'absolutisme et l'Inquisition, et qui ne pouvait apporter aucune contribution appréciable au progrès de l'humanité. En réalité, si l'Espagne, desservie par sa situation géographique, a parfois manifesté une ombrageuse défiance à l'égard du monde extérieur, elle ne s'est jamais fermée totalement à celui-ci. Bien plus, au xviiie siècle, elle a largement accueilli les courants venus d'Angleterre, de France et d'Italie. Par un curieux paradoxe, le monde extérieur occupe la première place dans l'œuvre d'un illustre écrivain, le bénédictin Benito Jerónimo Feijóo y Montenegro, qui n'a jamais quitté son pays et qui est à peine sorti de sa cellule monastique.
Une vie simple, laborieuse et retirée
Originaire de Casdemiro, près d'Orense, dans cette région très particulière qu'est la Galice, vieux pays celtique de landes et de granit, misérable, superstitieux et tragique comme l'est parfois la Bretagne en France, et dont les habitants parlent une langue plus proche du portugais que du castillan, Benito Feijóo mena une existence fort simple. En 1690, il reçoit l'habit bénédictin du monastère de Samos, entre Monforte et Lugo ; ses études cléricales le conduisent successivement à Salamanque et à León ; après un nouveau séjour en Galice, il est enfin envoyé, en 1709, au monastère de San Vicente d'Oviedo dans les Asturies. Il y passera pratiquement tout le reste de sa longue vie, consacrée à l'enseignement de la théologie et à d'infatigables recherches personnelles.
Feijóo apparaît comme un génie tardif. Après avoir lentement accumulé d'innombrables connaissances, il ne publie son premier récit qu'à quarante-neuf ans, en 1725, pour défendre contre les aristotéliciens le médecin Martín Martínez, auteur d'une Médecine sceptique. Mais il est surtout un essayiste. L'ensemble des articles qu'il a écrits à la suite de ses lectures, de ses expériences et des faits divers qu'il apprenait, en marge par exemple du Journal des savants et des Mémoires de Trévoux, qu'il pratiquait assidûment, forme deux gros recueils, les neuf volumes de son Teatro Crítico Universal (1726-1740) et les cinq volumes de ses lettres érudites, Cartas eruditas (1742-1760). Avec la collaboration fidèle de son ami le père Martín Sarmiento, qui résidait au couvent bénédictin de Madrid et qui était comme son fondé de pouvoirs dans la capitale, il y aborde les sujets les plus variés, mais dans un esprit toujours égal et que n'affaiblissent ni les difficultés, ni les oppositions, ni les polémiques.
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Écrit par
- Robert RICARD : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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