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FEIJÓO BENITO JERÓNIMO (1676-1764)

Le culte de la vérité : un disciple de Bacon

Cet esprit, c'est le culte intransigeant de la vérité. Pour Feijóo, la vérité n'est pas seulement utile, elle est belle, elle est sainte. Il écrirait volontiers, comme l'avait fait au siècle précédent un autre fils de saint Benoît : « Quoi, on voudrait séparer la piété d'avec la vérité ? Peut-il donc y avoir contre la vérité une piété véritable et sincère ? Ou est-il permis d'en proposer une qui ne soit pas véritable ? » Feijóo n'est pas ici seulement l'héritier de la grande tradition bénédictine des Mabillon et des Montfaucon, il se rattache aussi à ce courant critique qui se développe en France à partir de 1660 et qui a été étudié par Paul Hazard. Au nom de la vérité comme de la religion, Feijóo part donc en guerre contre les faux prodiges et les faux miracles. Né dans une province où il avait pu voir les maux immenses qu'engendre la superstition, il repousse l'alchimie, la magie, la sorcellerie, les histoires de spectres et de revenants ; il n'admet ni l'astrologie, ni la chiromancie, ni aucune des formes de la divination ; en matière démoniaque, il se montre d'une extrême réserve. Au surplus, les vaines observances ne sont pas seulement une offense à Dieu et à la vérité : il s'y ajoute souvent la vanité et l'esprit de lucre ; les pèlerinages et les fêtes fournissent l'occasion des excès les plus regrettables : querelles, vols, débauches, ivresse. Il note encore avec tristesse que les offices religieux eux-mêmes ont perdu en dignité et en gravité par l'envahissement de la musique profane.

Feijóo rangerait volontiers parmi les vaines observances la médecine telle qu'on la pratiquait en Espagne de son temps. Quoique strictement orthodoxe, il estime que la science expérimentale a le champ libre pour progresser à l'infini. Les idées d'Aristote, par exemple, ne sont nullement article de foi, et le docteur Martínez ne doit pas être taxé d'hérésie parce qu'il s'insurge en médecine contre l'autorité du Stagirite. Ce ne sont pas les dogmes qui brident la pensée, mais les autorités usurpées. La religion catholique n'est aucunement solidaire de l'aristotélisme. Grand esprit sans nul doute, Aristote ne peut prétendre à l'infaillibilité. Feijóo, lui, est un disciple de Francis Bacon : sa principale autorité, c'est l'expérience. Aussi ne se montre-t-il guère favorable à Descartes, dont le génie lui paraît trop systématique et trop spéculatif et dont la philosophie soulève de graves objections de la part d'un croyant. Cette défiance à l'égard des constructions métaphysiques explique la médiocre sympathie de Feijóo pour Leibniz et pour Malebranche. C'est dans le doute expérimental qu'il fait consister la voie du progrès ; et telle est la méthode qu'il voudrait voir appliquer dans cet art de la médecine dont les difficultés ne cessent de le préoccuper. Or, c'est là précisément un domaine où l'idolâtrie des autorités et le mépris de l'expérience font des ravages proprement mortels. Pour être bon médecin, cependant, il est moins utile de posséder par cœur Hippocrate que de savoir observer la nature et étudier le tempérament de chaque malade. Il faut secouer la routine de l'enseignement verbaliste, des formules creuses, de la dialectique formelle, des exercices de mémoire. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : il n'y a chez Feijóo aucune tendance au rationalisme ou à l'agnosticisme. Quand il démolit les légendes, les superstitions et les faux prestiges, il peut faire penser à Bayle, qu'il a d'ailleurs beaucoup lu, dont il admire l'érudition et dont il lui arrive de louer l'impartialité. Seulement, ce serait un Bayle catholique. L'étude directe des choses, des êtres, de la nature,[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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