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FEIJÓO BENITO JERÓNIMO (1676-1764)

Le critique et l'écrivain

Toutefois, Feijóo, vulgarisateur consciencieux, intelligent et souvent perspicace, n'est pas un homme de science, et sa cellule, bien qu'il y entasse les instruments et les curiosités, n'a rien d'un laboratoire. Néanmoins, comme la médecine, l'étude des phénomènes naturels le passionne, ceux de la lumière et du feu en particulier : foudre, électricité, magnétisme, tremblements de terre. Les histoires de monstres aussi éveillent son intérêt et lui font perdre quelquefois sa prudence habituelle. Mais ces recherches n'accaparent pas exclusivement son attention. Il ne néglige pas les problèmes esthétiques et il les aborde avec sa coutumière indépendance de jugement.

De même qu'il n'admet pas les autorités en matière scientifique, de même il ne croit pas aux règles en littérature. Seule la liberté permet le plein développement des dons naturels, que rien ne peut remplacer. En musique comme en littérature, il y a un je-ne-sais-quoi qui est supérieur aux préceptes et procédés. Ici aussi, Feijóo a des idées et des goûts très personnels. Peut-être par esprit national, il met l'Hispano-Romain Lucain au-dessus de Virgile. Celui-ci a accueilli des fables immorales ou ridicules. Lucain, au contraire, est le seul poète qui n'ait pas menti. Il y a là, sans doute, une conception un peu étroite de la poésie. Esprit très positif et concret, peu imaginatif, tempérament plus laborieux que créateur, Feijóo n'a conservé de sa province que le goût du travail ; on chercherait en vain chez lui cette prédilection pour le mystère et la fantaisie que l'on prête aux populations celtiques : la nature ne l'intéresse guère que par ses problèmes.

Cet Espagnol du Nord, épris de certitude et de clarté, est profondément latin, au sens restreint du mot ; il n'a ni la sensibilité plastique des Grecs, ni la sensibilité poétique de ces Anglais qu'il admire. On est tenté de lui appliquer les mots de Paul Hazard sur la période qu'il entreprenait d'étudier : il « a ignoré les cadences et les rythmes », il « n'a pas connu le pouvoir des charmes ». La poésie française elle-même, Feijóo la comprend mal. Notre versification lui paraît molle. Il met au premier rang Corneille, qui a des affinités avec Lucain. Mais près de lui il place Fontenelle, ce qui surprend davantage. Il est vrai que Fontenelle est un homme de science, un serviteur de la vérité. C'est toujours ce qui compte le plus pour l'auteur du Teatro crítico. En réalité, dans ses goûts comme dans sa pratique, Feijóo est un prosateur. Les vers qu'il a laissés sont médiocres. Il aime la bonne prose, il admire la belle prose, et là il donne la palme aux Français, au point d'omettre Cervantès dans son catalogue des gloires de l'Espagne. Malheureusement, lui-même n'est pas grand écrivain. Il a un style simple, direct, naturel, précis, vivant, mais il rédigeait vite, sans travailler, ce qui ne passe pas inaperçu. Il a du moins le mérite de savoir décrire, et il a utilement contribué à assouplir la langue espagnole en la rendant plus apte à l'expression des idées scientifiques.

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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