CONSTANT BENJAMIN (1767-1830)
Une retraite forcée
Exclu du Tribunat en 1802 avec une fournée d'« idéologues », Benjamin Constant commence alors sa traversée du désert. Jusqu'en 1814, il partagera l'ostracisme qui frappe Mme de Staël. Période extrêmement féconde, malgré la censure et l'état général des esprits qui ôtent à l'écrivain tout espoir de publication. Il accumule des matériaux abondants dont il tirera profit sous la Restauration. En 1803 et 1806, il achève deux gros traités politiques. Le second, intitulé Principes de politique, fixe quasi définitivement (sauf pour ce qui concerne la propriété) sa doctrine libérale.
En 1806, Constant commence un roman qui deviendra Adolphe. En 1809, il publie Wallstein d'après la pièce de Schiller, dont la préface peut être considérée comme un premier manifeste d'une esthétique non classique. En 1813, il compose un poème épique : Florestant, ou le Siège de Soissons. Cependant, quelque importants que ces textes puissent paraître pour l'histoire littéraire, ils ont été pour l'auteur négligeables en regard de sa gigantesque recherche sur les religions antiques, qui l'occupe presque continuellement, et dont nous pouvons suivre la réalisation grâce aux fonds manuscrits. Son mariage avec Charlotte née Hardenberg en 1808, sa rupture avec Mme de Staël, si longtemps différée, accentuent son goût déjà prononcé pour l'introspection. Dès 1803, Amélie et Germaine révélait son hésitation entre deux types de femmes ; puis le Journal intime (rédigé de 1804 à 1807 et repris de 1811 à 1816) se fait entre autres l'écho de cette difficulté qu'il a de prendre parti. Enfin, Cécile (1810 ?) et Ma Vie (ou Cahier rouge, 1811) tentent de conjurer, par le biais de l' autobiographie, une profonde angoisse. Ces écrits, connus au xxe siècle seulement, font de Constant un maître de l'analyse psychologique. Adolphe, reconnu de nos jours comme l'un des chefs-d'œuvre de la littérature, met en scène un jeune homme incapable de rompre une liaison sentimentale et qui souffre de faire souffrir. Longtemps interprété comme un portrait moral à peine dissimulé de son auteur, et comme un récit de sa vie amoureuse (on a voulu reconnaître Anna Lindsay dans Ellénore, et l'impossible rupture évoque évidemment ses relations avec Mme de Staël), Adolphe séduit aujourd'hui la critique par ses procédés de narration particulièrement subtils et par son style dépouillé, très classique dans sa forme et qui rend admirablement l'atmosphère fatale du roman. Le statut des œuvres autobiographiques est à son tour réexaminé dans une perspective plus littéraire : il ne s'agit plus en effet d'y voir le simple décalque de la réalité vécue, mais déjà la transposition de celle-ci dans une dimension romanesque. Amélie et Germaine, malgré l'authenticité des personnages et des situations, ne doit pas être considéré comme un vrai journal intime, car on peut observer dans son écriture un « dérapage » vers la forme du roman. Ma Vie, Cécile, Adolphe représentent ainsi les étapes (non chronologiques) de la recherche du genre narratif le mieux adapté à l'évocation de problèmes intimes, mais qui confinent, grâce à ces procédés, à l'universel.
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Écrit par
- Étienne HOFMANN : professeur assistant à l'université de Lausanne, chargé de recherches au Fonds national suisse de la recherche scientifique
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