CELLINI BENVENUTO (1500-1571)
Surpasser Michel-Ange
Irascible, il cultive la morgue et l'ironie : un ton de grand seigneur qui lui permet de discourir familièrement avec ses commanditaires. Seul le génie de Michel-Ange permettait, il le sent bien, ses fameuses colères contre Jules II. Le vieux Cellini, dans une Florence qui lui paraît mesquine, dut ciseler cette formule qu'il met dans la bouche de François Ier : « Je ne sais qui est le plus heureux, du prince qui trouve un homme selon son cœur ou de l'artiste de talent à qui un prince fournit tous les moyens d'exprimer les vastes conceptions de son esprit » (La Vie, II, 22).
Cellini cultive le goût maniériste de la prouesse, de l'exploit : faire tenir trois personnages sur une médaille minuscule, figurer toute une Ascension d'inspiration raphaélesque sur le sceau du cardinal Hercule de Gonzague (1528), traduire la monumentalité des figures allongées des tombeaux médicéens de Michel-Ange aux dimensions d'une salière (Vienne, achevée en 1543) ou, inversement, polir et « reparer » son Persée pour lui donner, sur la place de la Seigneurie, le fini d'un bibelot. Transformer ses œuvres en descriptions ornées, c'est pratiquer de même la « transposition d'art », tour rhétorique qui confère à ses productions la splendeur mythique du bouclier d'Achille chez Homère. Transgresser les règles de la morale, c'est encore se situer dans ce domaine du « génie » où l'avait précédé son « divin Michel-Ange » – avec l'étrange espérance mystique, chez cet aventurier sans scrupules, d'accéder, malgré tout, à la sainteté. Il note (La Vie, I, 128) que, depuis son emprisonnement de 1538-1539, il a vécu « le plus merveilleux des miracles qui soit arrivé à un homme », sa tête est ceinte d'une auréole. À ses amis italiens qui s'étonnaient qu'un tel prodige ne fût pas visible, il expliquait qu'« à Paris [...] on la voyait beaucoup mieux qu'en Italie ; le ciel a ici trop d'éclat ».
Cellini, délibérément, s'est voulu solitaire, « saturnien », en marge de son époque. Il en exprimait ainsi paradoxalement l'esprit : difficulté à sculpter après Michel-Ange, à composer des textes théoriques après Léonard de Vinci, « rage » d'écrire en concurrence avec Vasari. Le risque, pour la génération maniériste, à Fontainebleau, Rome ou Florence, quand tout est dit, que l'on vient trop tard, c'est de se contenter de l'apparence, de l'ornement : se comporter à la manière d'un maître, d'un prince, d'un homme de science, à défaut de se ranger véritablement au nombre des « génies ».
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Médias
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