BERBÈRES
Les littératures berbères
Les « littératures berbères », depuis trente ou quarante ans, sont en évolution. Les minorités berbérophones ont pris conscience de l'importance de leur langue, élément premier de leur identité. La migration des campagnes ou du désert vers les agglomérations d'Afrique, d'Europe ou d'Amérique, en transformant l'économie du travail et des revenus ainsi que les modes de vie et les contacts entre cultures, a modifié la structure littéraire et la diffusion des œuvres littéraires.
La tradition
Il faut continuer à employer un pluriel – « les littératures berbères » –, car les particularismes linguistiques régionaux subsistent. On ne dit pas « la littérature romane », on distingue « la littérature française », « la littérature espagnole », etc. Et on est encore loin d'une langue littéraire qu'utiliseraient tous les berbérophones. Il faut aussi poser le problème de la notion de « littérature » dans un domaine qui connaît des textes à la fois dans l'expression orale et dans l'expression écrite. Les écrivains berbères, des lettrés en sciences de l'islam, ont employé à partir du xiie siècle des termes berbères ou empruntés à l'arabe et berbérisés qui peuvent caractériser leurs types de textes, écrits en caractères arabes, comme textes littéraires, qualifiés par exemple de « beaux » et « dignes d'admiration ». La langue des œuvres, qui traitaient du dogme, des obligations religieuses et du droit ou chantaient Allah, son Envoyé et les saints était la variété de berbère de la région où elles étaient écrites, lues, commentées.
La critique occidentale a longtemps refusé de considérer comme littéraires des productions orales associant un texte à des circonstances diverses. Pourtant, dans de vastes territoires, il existe chez tous les auditeurs le sentiment d'une différence entre leur langage quotidien et celui des contes ou poèmes véhiculés par des chanteurs-compositeurs professionnels ambulants, avec ou sans troupe, et même celui des contes et poèmes exécutés par des amateurs dans leur propre groupe. On verra ci-dessous qu'on peut préciser, par l'analyse, cette intuition.
Les itinéraires des professionnels délimitent des zones d'intercompréhension du texte, une compréhension qui n'est pas forcément totale. Ces modes de production des textes en vers ou de contes particuliers aux professionnels sont très anciens, de loin antérieurs aux témoignages sur l'organisation de troupes qui se produisaient par exemple en Allemagne à la fin du xixe siècle. Elles étaient composées de chanteurs musiciens, parmi lesquels le chef de troupe, mais aussi d'acrobates et de tireurs. Cela permettait à l'impresario d'étendre les itinéraires à des contrées où se réduisait la compréhension du texte. Ce circuit de diffusion a été connu au Maghreb jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Quant aux contes et légendes villageois, leur naissance se fond dans l'archaïsme des sociétés africaines et méditerranéennes ; même islamisé, le Cyclope du Maroc a des racines préhistoriques communes avec celui de l'Odyssée et celui du Caucase. Le conteur des veillées de village, jusqu'à des dates récentes avait besoin de se dégager par des formules du monde magique recréé par la nuit et par l'histoire qu'il disait. Le poète avait, naguère encore, besoin du don de parole qu'accordait un saint marabout ou un ange, substitué à un génie préislamique.
Il ne faut pas tomber dans l'illusion selon laquelle on aurait affaire, dans toutes ces productions orales traditionnelles, à de simples manifestations folkloriques à l'usage des touristes. En effet, le travail du texte oral et de sa mise en scène fournit des arguments pour prouver que dans les sociétés berbères traditionnelles existe[...]
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Écrit par
- Salem CHAKER : professeur de langue berbère à l'université de Provence
- Lionel GALAND : directeur d'études retraité de l'École pratique des hautes études, section des sciences historiques et philologiques, Sorbonne, Paris, correspondant de l'Institut de France (Académie des inscriptions et belles-lettres), membre étranger de l'Académie royale des Pays-Bas.
- Paulette GALAND-PERNET : directrice de recherche honoraire au CNRS
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