BÉRÉNICE, Jean Racine Fiche de lecture
Concurrent de Pierre Corneille – qui, au même moment, écrit Tite et Bérénice –, Jean Racine (1639-1699) signe avec Bérénice (1670) l'un de ses plus grands succès. L'œuvre est une tragédie expérimentale : peu de vers (1 506), peu de scènes (29), trois personnages majeurs, une intrigue qui trouve sa source chez Suétone : « dimisit invitus invitam » (« il la renvoya malgré lui, malgré elle »).
Un arrêt irrémédiable
La tragédie n'est qu'un long retardement. Le Romain Titus, devenu empereur à la mort de son père Vespasien, doit quitter Bérénice. Bérénice, reine de Palestine, ne peut, selon les lois romaines, épouser l'empereur qu'elle aime pourtant profondément : « Jugez de ma douleur, moi dont l'ardeur extrême,/ Je vous l'ai dit cent fois n'aime en lui que lui-même » (I, 4). Antiochus, roi de Comagène, espère épouser Bérénice, qui ne l'aime pas. D'emblée, Titus doit avoir choisi et toute l'intrigue consiste à savoir quand et comment il annoncera à Bérénice leur séparation. Mais a-t-il vraiment choisi ? Le Sénat, les lois romaines exigent cette décision et la convention qui affirme que jamais une reine étrangère ne pourra espérer devenir impératrice romaine est une sorte d'oracle laïque sacralisé, engageant le destin des héros. Oracle laïque ou loi fondamentale de l'Empire, peu importe puisqu'il s'agit en réalité de confronter les héros à un arrêt irrémédiable.
Alors que faire d'autre que pleurer ? Que faire d'autre qu'écrire une longue élégie dialoguée ? Au sentiment de pitié, qui est aussi compassion et admiration pour les souffrances et les sacrifices, Racine ajoute la « tristesse majestueuse ». L'expression (Préface de 1671) combine le chagrin absolu et violent (c'est, au xviie siècle, le sens de tristesse) et la « majesté », celle des rois, qui fonde et justifie leur pouvoir. Ainsi, le chagrin, né de la mondanité galante, s'en écarte pour devenir royal et sublimer toutes les émotions tragiques en une seule grande et forte émotion. Dépassant la tendresse, la tristesse témoigne alors de la pureté des sentiments et des héros.
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média