BERLIN (foyer culturel)
Un Eldorado problématique
Selon les statistiques officielles, une vingtaine de milliers d’artistes vivent, en 2013, à Berlin, environ 10 p. 100 de la population active. Pas moins de cinq cents galeries exposent leurs œuvres. Paradis des arts ? L’image relève du mythe. Un mythe entretenu par les potentats locaux, qui pensent ainsi procurer à leur ville une renommée internationale et, à travers celle-ci, gagner l’attention d’investisseurs financiers.
Cela dit, la nouvelle capitale respire d’une vitalité hors pair, tant le dynamisme de la reconstruction pousse à un épanouissement de créativité. En atteste la progression du profit que tire la ville de ses millions de visiteurs étrangers. En 1991, le bénéfice généré par la culture se limitait à 600 000 euros. En 2001, il s’élève à plus d’un milliard. En 1995, les activités culturelles représentaient 45 000 emplois. En 2002, ils sont 50 000, et 75 000 en 2010.
Des clubs de littérature aux salles de concert, plus de deux mille institutions sont disséminées dans les quartiers. Cependant, les jeunes gens artistiquement actifs qui choisissent de se fixer temporairement à Berlin et parviennent à y conquérir une relative célébrité sont rares. Le Danois Olafur Eliasson, qui a aménagé son atelier dans une ancienne brasserie de Prenzlauer-Berg en 2008, a été honoré d’une exposition en 2010 en un lieu exceptionnel, le Martin-Gropius-Bau, mais il était déjà fort connu avant même d’avoir élu domicile à Berlin.
En juin-juillet 2011, une exposition intitulée Based in Berlin a été organisée avec l’appui du maire social-démocrate, Klaus Wowereit. Rassemblant quatre-vingts artistes, elle avait pour objectif, à travers des installations, des performances, des vidéos, de montrer combien la ville avait « développé l’un des centres de production d’art contemporain les plus importants du monde ». Hélas, le résultat ne fut pas celui attendu. Signée par un millier d’artistes, une pétition dénonça une coûteuse opération de propagande, plus d’un million d’euros déboursés par la municipalité, au détriment de subventions qui auraient été beaucoup plus utiles, selon eux, pour garantir la survie d’activités culturelles régulières et de haut niveau.
Ces réactions sont un symptôme du désenchantement qui imprègne le milieu artistique berlinois, fragilisé par la spéculation immobilière dans ses quartiers d’adoption. Achat des immeubles délabrés, expulsion des occupants, rénovation et… locations à des prix constamment en hausse. Le phénomène a conduit à « l’embourgeoisement » de Prenzlauer Berg et de Kreuzberg.
Depuis les emballements de circonstance des années 1990-2000, le paysage culturel a changé. Finie, ou presque, la libre jouissance des locaux à l’abandon par des groupes d’artistes. Les promoteurs se sont précipités sur les friches. Emblématique, l’évacuation du Tacheles, une ruine de béton sur cinq étages, à proximité de la synagogue d’Oranienburger Strasse. En septembre 2012, sa fermeture n’a pas entraîné de nombreuses protestations.
Subsistent de vastes complexes, la plupart à l’Est, spécialisés dans les divertissements « alternatifs ». À Prenzlauer Berg, se trouve la Kulturbrauerei, et sur Schönhauser Allee le Pfefferberg, dans deux anciennes brasseries. À Marzahn, l’ORWO-Haus, possède les studios de production musicale les plus perfectionnés d’Europe, dans une ancienne fabrique de pellicule de cinéma. À Friedrichshain, le club Berghain, installé dans une ancienne centrale électrique aux dimensions colossales, est le lieu de rendez-vous des homosexuels ; il est réputé pour sa musique « techno ».
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Écrit par
- Lionel RICHARD : professeur honoraire des Universités
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Médias