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BERLIN (JEUX OLYMPIQUES DE) [1936] Contexte, organisation, bilan

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Du 25 au 30 mai 1930, le C.I.O. tient à Berlin le neuvième congrès de son histoire ; celui-ci est consacré aux règlements olympiques, les débats portant sur la sacro-sainte question de l'amateurisme, notamment en ce qui concerne les footballeurs. L'assemblée en profite pour enregistrer les candidatures de plusieurs cités qui souhaitent organiser les Jeux de 1936 : treize villes – Alexandrie, Barcelone, Berlin, Budapest, Buenos Aires, Cologne, Dublin, Francfort, Helsinki, Lausanne, Nuremberg, Rio de Janeiro, Rome – se sont manifestées. Moins d'un an plus tard, par le jeu des désistements, seules Barcelone, Berlin, Budapest et Rome demeurent en lice ; dès avant l'ouverture de la vingt-neuvième session du C.I.O. lors de laquelle celui-ci doit choisir la ville d'accueil des Jeux de 1936, qui se tient à Barcelone du 24 au 26 avril 1931, Budapest et Rome se retirent de la course. Néanmoins, seuls dix-neuf des soixante-sept membres du C.I.O. sont présents à Barcelone : conformément aux statuts, on a donc recours au vote par correspondance. Chacun se rappelle que Berlin aurait dû organiser les Jeux en 1916 ; certains membres du C.I.O. s'inquiètent de l'instabilité politique en Espagne : le roi Alphonse XIII vient de s'exiler et la seconde République espagnole est proclamée. La République de Weimar du maréchal Paul von Hindenburg, ébranlée par la crise économique, paraît-elle plus stable aux membres du C.I.O. ? Il faut le croire, puisque, le 13 mai 1931, date de clôture du scrutin, on compte quarante-trois voix en faveur de Berlin, seize pour Barcelone et huit abstentions.

Le 24 janvier 1933, le Comité olympique allemand constitue un comité d'organisation des Jeux de Berlin. Six jours plus tard, Adolf Hitler est nommé chancelier du Reich. La tenue des Jeux à Berlin en 1936 est-elle de ce fait remise en cause ? On peut le penser : les déclarations nazies hostiles aux Jeux se multiplient ; le porte-parole du parti nazi Bruno Malitz condamne même le sport moderne international « infesté par les Français, les Belges, les Polonais, les Juifs et les Nègres... » ; un comité de défense contre les jeux Olympiques se met en place ; Hitler est accaparé par d'autres préoccupations et ne souhaite pas que des athlètes aryens se commettent « avec des Nègres esclaves ou des Juifs ». Néanmoins, Theodor Lewald et Carl Diem, respectivement président et secrétaire du comité d'organisation, persuadent le führer de réviser sa position et, le 16 mars 1933, Hitler fait savoir au C.I.O. qu'il honorera les engagements pris par la République de Weimar. Dès lors, une gigantesque entreprise de mascarade, parfaitement orchestrée par Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, se met en marche. La composition du comité d'organisation est revue, mais Theodor Lewald, bien que d'ascendance juive, est maintenu à sa tête afin de duper l'opinion mondiale ; Carl Diem, grand connaisseur de l'Antiquité grecque, conserve également son poste. Néanmoins, Hans von Tschammer und Osten, dignitaire nazi de la SA (Sturmabteilung), Reichssportführer et président du Comité olympique allemand, se voit confier la réelle maîtrise d'œuvre de ces Jeux.

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Hitler et Goebbels comprennent rapidement l'intérêt des Jeux de Berlin pour le régime nazi, et ils décident que ceux-ci doivent servir à démontrer au monde entier la puissance du IIIe Reich tout en dupant l'opinion internationale quant aux funestes desseins nazis. Architecture et résultats sportifs : les Allemands doivent se montrer les maîtres en tout domaine. Le budget consacré au sport passe ainsi de 5 millions à 100 millions de Reichsmark. Le stade olympique construit en 1913 par Otto March dans l'optique des Jeux de Berlin de 1916 est jugé trop petit par Hitler, qui décide d'en édifier un nouveau : dans ses projets les plus fous, il imagine une enceinte de cinq cent mille places ! Finalement, il confie à l'architecte Werner March, le fils d'Otto March, la réalisation, dans le quartier de Charlottenburg, de l'Olympiastadion, un stade olympique sobre à l'extérieur mais monumental à l'intérieur, dans lequel peuvent prendre place cent mille spectateurs autour d'un complexe sportif de 300 mètres de longueur sur 230 mètres de largeur : cette enceinte en béton armé, dans laquelle tout un virage est réservé aux SA, revient à 77 millions de Reichsmark. L'Olympiastadion est le théâtre des cérémonies d'ouverture et de clôture, et accueille les compétitions d'athlétisme ainsi que les finales des tournois de football et de handball. L'ensemble est agrandi par un vaste terrain de 112 000 mètres carrés, destiné aux défilés, aux exhibitions de gymnastique et aux épreuves d'équitation, le Maifield, qui peut recevoir quarante mille spectateurs ; au milieu de cette enceinte est érigé le Glockenturm (ou Führerturm), un clocher de 77 mètres de hauteur qui abrite la colossale cloche olympique (2,80 mètres de diamètre, 4,50 mètres de hauteur, 13,8 tonnes) ; sous les tribunes du Maifield, une gigantesque halle de sport est aménagée, la Langemarckhalle. Tout près, on construit la Deutschlandhalle, une grande salle de 117 mètres de longueur pour une largeur de 83 mètres, dans laquelle peuvent prendre place dix mille spectateurs, qui sert de cadre aux compétitions de boxe, de lutte et d'haltérophilie. Un magnifique théâtre de plein air à l'antique, d'une capacité de vingt mille places, baptisé Dietrich-Eckart en l'honneur d'un des fondateurs du parti nazi, ami d'Hitler, est édifié pour les compétitions de gymnastique. Les tournois d'escrime ont lieu dans la Cupola Halle, enceinte circulaire de mille deux cents places. Un splendide stade nautique de dix-huit mille cinq cents places, l'Olympia-Schwimmstadion, est dédié aux épreuves de natation, de plongeon et de water-polo. Douze mille spectateurs peuvent assister aux compétitions cyclistes dans le vélodrome ; le complexe de tennis sert également de cadre aux matchs de basket-ball ; un magnifique bassin d'aviron est construit à Grünau. Les compétitions de voile se déroulent en rade de Kiel, où brûle une flamme olympique installée sur un trois-mâts. Les réalisations architecturales ne se limitent pas aux enceintes sportives : le célèbre Luna-Park est rasé, pour élargir la voie d'accès à l'Olympiastadion. Ainsi, d'Alexanderplatz au stade olympique naît une colossale Via triomphalis pavoisée de multiples drapeaux aux cinq anneaux ou au svastika.

Adolf Hitler lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Berlin (1936) - crédits : Past Pix/ Getty Images

Adolf Hitler lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Berlin (1936)

Dirigeable « Hindenburg », jeux Olympiques de Berlin, 1936 - crédits : Encyclopaedia Britannica, Inc.

Dirigeable « Hindenburg », jeux Olympiques de Berlin, 1936

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Un superbe village olympique est édifié à 15 kilomètres du stade olympique, dans une vallée luxuriante baignée par un lac tranquille. Chacune des quarante maisons cossues peut abriter de vingt à vingt-quatre personnes et est dotée de tout le confort (douche et chauffage). De multiples installations (stade d'entraînement, salles de massage, saunas, gymnases, rings de boxe, etc.) permettent aux champions de s'entraîner dans les meilleures conditions. Les athlètes peuvent se sustenter dans quarante restaurants, assister à divers spectacles et même regarder les compétitions olympiques grâce à un système interne de télévision câblée. En effet – grande innovation –, les épreuves sont retransmises par la télévision dans vingt-huit salons de réception grâce à la mise au point par Telefunken d'une caméra iconoscope : chaque jour, les compétitions sont diffusées en direct durant 8 heures ; cent soixante-deux mille deux cent vingt-huit privilégiés suivent ainsi les Jeux grâce à la télévision. Pour ce qui est de la radio, des reportages en vingt-huit langues sont diffusés dans quarante pays, ce qui représente 2 500 heures de programmes. Et les journalistes de la presse écrite sont présents en nombre. Au total, cinq cent quatre-vingt-treize organes de presse du monde entier couvrent les Jeux de Berlin, en plus des deux cent quarante agences allemandes.

Ces Jeux de Berlin voient par ailleurs une importante innovation : le relais de la flamme olympique. Carl Diem, se référant à une cérémonie liée à certaines fêtes de la Grèce antique, en propose l'idée à Goebbels, qui se déclare séduit. La flamme – qui deviendra par la suite symbole de paix – est allumée à Olympie sur les vestiges d'installations des Jeux antiques, puis, à travers la Grèce, la Bulgarie, la Yougoslavie, la Hongrie, l'Autriche, la Tchécoslovaquie et l'Allemagne, trois mille soixante-quinze relayeurs venus de sept nations différentes se transmettent la torche en acier poli sculptée par Walter Lemcke et fabriquée par l'entreprise Krupp ; au terme de ce relais de douze jours, Fritz Schilgen, un coureur allemand de demi-fond, embrase la vasque.

Bien évidemment, il est hors de question pour les nazis que la population ne se mobilise pas massivement pour les Jeux – le risque est maigre, toutes les initiatives du führer recevant alors l'adhésion de la majorité du peuple allemand. Néanmoins, tous les services – poste, chemin de fer, police... – sont mis à contribution afin de favoriser l'accueil et le déplacement des spectateurs. Ainsi, mille trains spéciaux sont affrétés durant les Jeux. Au total, quelque trois millions sept cent soixante-dix mille spectateurs, dont trois cent quatre-vingt-cinq mille étrangers, assistent aux compétitions olympiques, laissant une recette au guichet de 9 034 442 Reichsmark.

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Tandis que la mascarade olympique nazie se met en place, quelles sont les réactions de la communauté internationale, et en premier lieu celles du mouvement olympique ? Elles s'avèrent plus que timides. Interpellé, le comte Henri de Baillet-Latour rencontre à plusieurs reprises le führer pour lui rappeler que les Jeux doivent se dérouler sans la moindre propagande politique : le président du C.I.O., naïf ou complice, se contente des garanties verbales du chancelier du Reich. Néanmoins, aux États-Unis, où la question juive est sensible, divers appels au boycottage des Jeux de Berlin sont lancés. Dès 1933, le Reich promet au général de brigade Charles Sherrill, un des membres américains du C.I.O., que les Juifs ne seront pas exclus des Jeux, et le général se dit satisfait... Néanmoins, Avery Brundage, président du Comité olympique américain, se rend à Berlin à l'été de 1934 pour examiner la situation et en rendre compte ; à son retour, sa position est non ambiguë : « Il faut participer aux Jeux. » Mais le commodore Ernest Lee Jahncke, autre représentant américain au C.I.O., insiste, se fait plus pressant et s'adresse en novembre 1935 à Baillet-Latour, exprimant clairement dans son courrier la menace d'un boycottage américain. En réponse, il se voit exclu du C.I.O. peu avant les Jeux et remplacé par... Avery Brundage ! En définitive, les Américains se rendent à Berlin ; néanmoins, de nombreux mécènes refusent de confirmer leur subvention, et 25 000 dollars manquent à la délégation olympique américaine pour financer son déplacement. En fait, seul le mouvement ouvrier international tente de proposer un contre-feu aux Jeux nazis en organisant des olympiades populaires à Barcelone. Mais cette manifestation, prévue du 19 au 26 juillet 1936, est annulée à la suite du pronunciamiento militaire du général Franco...

Finalement, quarante-huit pays envoient une délégation à Berlin, seule l'Espagne déclarant forfait. Trois mille neuf cent soixante-sept sportifs et sportives représentant quarante-neuf pays participent aux compétitions. Le Reich tient déjà sa première victoire : on ne comptait en effet que mille trois cent trente-deux concurrents de trente-sept pays en 1932 ; même si on se réfère à 1928 – le long et coûteux voyage vers Los Angeles dans un contexte de crise économique avait conduit les comités olympiques nationaux à limiter l'importance de leur délégation en 1932 –, la participation est en hausse (deux mille huit cent quatre-vingt-trois sportifs de quarante-six pays étaient présents aux Jeux d'Amsterdam). Le programme sportif s'enrichit : le canoë-kayak, le handball – discipline chère aux Allemands qui considèrent l'avoir inventée – et le basket-ball apparaissent pour la première fois aux Jeux. De ce fait, le nombre d'épreuves augmente, pour se situer à cent vingt-neuf, contre cent dix-sept en 1932.

Il semble incongru de tirer un bilan sportif de ces Jeux nazis. Pourtant, les compétitions sont de grande qualité et les performances se multiplient. Ainsi, au grand dam des thuriféraires de la prétendue supériorité de la race aryenne, l'athlète noir américain Jesse Owens réalise un exploit majuscule en remportant quatre médailles d'or. Dans ce contexte particulier, l'incroyable performance d'Owens s'ancre pour toujours dans la mémoire d'un mouvement olympique qui trouve peut-être là l'occasion de se dédouaner de ses lâchetés. Par ailleurs, en raison du quadruplé de ce descendant d'esclaves, d'autres performances de choix sont occultées par l'histoire. Pourtant, il convient d'insister sur les trois médailles d'or de la jeune nageuse néerlandaise « Rie » Mastenbroek (dix-sept ans) ou du cycliste français Robert Charpentier, sur le doublé de l'athlète américaine Helen Stephens, gagnante du 100 mètres et du relais 4 fois 100 mètres, sans oublier les gymnastes allemands Konrad Frey (six médailles, dont trois en or) et Alfred Schwarzmann (cinq médailles, dont trois en or).

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Pour Hitler, le triomphe olympique nazi passait aussi par de brillants résultats sportifs. Les champions allemands ont bénéficié des meilleures conditions qui soient pour se préparer et le bilan s'avère à la hauteur des volontés du führer : l'Allemagne, avec sa délégation imposante (trois cent quarante-huit concurrents), neuvième en 1932 (trois médailles d'or, vingt médailles au total), occupe la première place du bilan des nations, avec trente-trois médailles d'or, vingt-six médailles d'argent et trente médailles de bronze, soit quatre-vingt-neuf médailles au total. Ses cavaliers, qui s'adjugent les six médailles d'or mises en jeu, ses rameurs (cinq médailles d'or), ses gymnastes (six médailles d'or), ainsi que, en athlétisme, ses lanceurs (cinq médailles d'or) se distinguent particulièrement. Pour la première fois depuis 1908, les États-Unis, qui présentaient pourtant une cohorte importante (trois cent douze concurrents), n'occupent pas la tête du bilan. Deuxièmes, les Américains sont même très nettement devancés par les Allemands : ils obtiennent vingt-quatre médailles d'or, vingt médailles d'argent et douze médailles de bronze, soit cinquante-six médailles au total. Néanmoins, dans la foulée de Jesse Owens et de ses frères de couleur, ils brillent en athlétisme, s'adjugeant quatorze médailles d'or, sept médailles d'argent et quatre médailles de bronze ; les plongeurs américains, qui gagnent les quatre épreuves et obtiennent dix médailles, se distinguent également. Les autres délégations sont nettement distancées : ainsi, la Hongrie, troisième, ne s'adjuge que dix médailles d'or, une médaille d'argent et cinq médailles de bronze, soit seize médailles au total ; l'Italie, en recul (elle était deuxième en 1932), quatrième, obtient huit médailles d'or, neuf médailles d'argent et cinq médailles de bronze, soit vingt-deux médailles au total. La France, troisième en 1932, recule à la cinquième place : la délégation tricolore, forte de deux cents concurrents, repart de Berlin avec sept médailles d'or, six médailles d'argent et six médailles de bronze, soit dix-neuf médailles au total, les cyclistes français (sept médailles, dont trois en or, en six épreuves) se distinguant particulièrement. Enfin, trente-deux des quarante-neuf délégations obtiennent une médaille au moins.

Les Jeux de Berlin laissent un goût amer au mouvement sportif. Ainsi, le 17 août 1936, dans L'Auto, l'éditorial de Jacques Goddet a pour titre : « Les Jeux défigurés ». Néanmoins, pour les nazis, ces jeux Olympiques constituent un triomphe : ils ont démontré au monde entier la puissance du Reich tout en dupant l'opinion et les politiques – aveugles ou complices ? – quant à la réalité nauséabonde de leur régime et de leurs desseins.

— Pierre LAGRUE

Bibliographie

F. Abgrall & F. Thomazeau, 1936. La France à l’épreuve des jeux Olympiques de Berlin, Alvik, Paris, 2006

J.-M. Blaizeau, Les Jeux défigurés, Berlin 1936, Atlantica, Biarritz, 2002

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M. Berlioux, Des Jeux et des crimes, 1936, Atlantica, Biarritz 2007

J.-M. Brohm, 1936, les jeux Olympiques de Berlin, éd. Complexes, Bruxelles, 1983

C. Hilton, Hitler's Olympics : The 1936 Berlin Olympic Games, Sutton Publishing Ltd, 2007

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P. Lagrue, Le Siècle olympique. Les Jeux et l’histoire (Athènes, 1896-Londres, 2012), Encyclopædia Universalis, Paris, 2012

R. D. Mandell, The Nazi Olympics, University of Illinois Press, 1971.

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Écrit par

  • : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs

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