BERLIN
Les frontières dans la ville
La disparition du Mur a supprimé la frontière matérielle qui interdisait la libre circulation entre les deux parties de la ville, mais la crise urbaine et les formes de la reprise accentuent les discontinuités socio-économiques, soulignent les différences de comportements culturels et politiques et révèlent, en définitive, des frontières internes, nouvelles ou héritées, paradoxalement renforcées par les mobilités. Dès le milieu des années 1990, les pronostics de croissance démographique ont été démentis (3,41 millions d’habitants en 1989 ; 3,46 en 1993 ; mais 3,45 dès 1996) par la persistance du déficit naturel, et surtout, par l’inversion des flux migratoires aux dépens, en particulier, des quartiers centraux et des grands ensembles socialistes, et au profit de la proche périphérie et des anciens Länder. L’évolution a été brutale dans la partie orientale où le taux de natalité a reculé de 50 p. 100 par rapport à 1989 et où le déficit migratoire s’est élevé à 31 500 personnes entre 1989 et 2000. À l’Ouest, le vieillissement de la population s’est accentué et l’émigration, en particulier celle des personnes en âge de procréer et aux revenus les plus élevés, a alimenté la périurbanisation des communes périphériques. Jusqu’en 2000-2001, la ville a perdu chaque année environ 3 p. 100 de sa population avant que la croissance démographique ne redémarre lentement grâce à la hausse de l’excédent migratoire.
Bien que longtemps insuffisant pour compenser les départs et les décès, l’apport migratoire provient pour une part des migrations interrégionales (essentiellement de Rhénanie-du-Nord et de Basse-Saxe). Le Land de Brandebourg fournit les effectifs les plus importants, mais le solde est déficitaire en raison du départ de Berlinois et de leur installation résidentielle à la périphérie de la ville. Mais, pour la plus grande part, l’apport migratoire est dû aux flux venus de l’étranger – la moitié des arrivées entre 1990 et 1996 –, composés alors, en particulier, de réfugiés de l’ex-Yougoslavie, de demandeurs d’asile, de Aussiedler (immigrés d’origine allemande) et de travailleurs immigrés d’Europe centrale et orientale. Ces derniers ont bénéficié de mesures de naturalisation, mais leur part continue de progresser dans le total de la population étrangère (14,6 p. 100 en 2015), talonnant la population turque qui reste néanmoins la première communauté étrangère de la ville (17,6 p. 100 en 2015). Le bouleversement récent des migrations internationales accroît la part des ressortissants des pays d’Asie et du Moyen-Orient (17,2 p. 100 au total, 2,9 p. 100 de Syriens en 2015). L’inégale distribution géographique des étrangers (près de 42 p. 100 de la population étrangère réside en 2015 dans les quartiers du Mitte, Friedrichshain-Kreuzberg et Neukölln) se greffe sur les disparités socio-économiques héritées du processus de ségrégation socio-spatiale mis en place au début de l’ère industrielle : les quartiers riches et bourgeois de l’Ouest s’opposent aux quartiers modestes et ouvriers du Nord et de l’Est, tandis que le sud de la ville accueille les classes moyennes.
Le chômage et la pauvreté se localisent dans les quartiers centraux et orientaux (les taux de chômage sont les plus élevés dans le Mitte et à Neukölln, touchant en particulier la population étrangère). Le gradient socio-économique se maintient et engendre des migrations pendulaires habitat-travail qui privilégient les nouveaux centres économiques. Dans le même temps, de nouveaux résidents aisés s’installent dans les quartiers de l’Innenstadt, entraînant la gentrification de l’habitat (réhabilitation patrimoniale des Mietskasernen), de l’espace public et des commerces. Les contrastes socio-économiques se complexifient, mais le clivage identitaire se maintient.[...]
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Écrit par
- Guillaume LACQUEMENT : professeur de géographie, enseignant-chercheur, université de Perpignan Via Domitia
- François REITEL : professeur à l'université de Metz, doyen honoraire de la faculté des lettres
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