BERENSON BERNARD (1865-1959)
La critique d'attribution
Berenson hésitait à se classer parmi les experts, les historiens de l'art, les critiques, les philosophes ou les collectionneurs. Ses activités et ses œuvres relèvent de tous ces domaines, mais c'est sans doute l'attribution des œuvres italiennes du xive au xvie siècle qui l'occupa le plus. Parus en 1903, les Dessins des peintres florentins, classés, critiqués et étudiés comme documents pour l'histoire et l'appréciation de l'art toscan sont comme le manifeste de sa méthode et son illustration. Berenson est un des premiers critiques à tenter une lecture aussi précise des seuls dessins. Pour cela, il doit établir des critères d'attribution, il se plaît à souligner les différences entre l'expertise d'un tableau et celle d'un dessin. Il remarque que, pour ce dernier, la signature n'est jamais un critère suffisant : jusqu'au xviiie siècle, le dessin est un instrument de travail commun à une école, il passe de main en main et les élèves ne se privent pas de reproduire les originaux. C'est pourquoi les témoignages habituels sont sans valeur ; Vasari par exemple restait indifférent aux dessins. Berenson utilise la méthode mise au point par Morelli : ici, l'œuvre reste souvent inachevée, la ligne assume toutes les fonctions puisqu'elle forme le clair-obscur. Il faut donc déterminer ce qui n'appartient qu'au dessin : l'âge du papier, sa provenance (on dessine parfois sur des papiers ayant servi à autre chose), l'âge de l'encre. On suit aussi le trait, sa direction, son rôle : quand on sait que Vinci était gaucher, on s'aperçoit qu'il va toujours de gauche à droite, ses imitateurs dans le sens opposé. Mais le titre de l'ouvrage de Berenson indique que sa méthode est déterminée par son projet : on identifie un dessin pour montrer le rôle qu'il a joué dans la préparation d'un tableau ou d'une fresque, mais on est tenté de l'identifier par les caractères que l'on découvre dans cette fresque. Le processus est moins fermé qu'il n'y paraît, car Berenson sait pertinemment que le dessin n'est qu'une partie de l'œuvre définitive : « Le dessin, qui, dans l'ordre naturel des choses, précède le tableau, peut être jugé seulement selon des canons dérivés d'une étude des œuvres achevées. » Mais Berenson ne va pas d'une œuvre à un dessin, il exhibe la série des dessins et procède donc par une analyse à plusieurs termes. L'œuvre définitive est le tout, les dessins n'en sont pas les parties simples, mais les parties fragmentaires. Ainsi son ouvrage combine-t-il sans cesse la simple expertise et la connaissance des étapes préparatoires d'œuvres achevées. L'ironie veut que la plus belle démonstration de ces recherches porte sur une œuvre inachevée de Léonard de Vinci, l'Adoration des mages, dont Berenson nous offre les esquisses successives : le vieillard, la jeune fille regardant à gauche, la Madone, une adoration des bergers qui ne verra pas le jour, une étude de l'architecture. Il ne néglige pas le « matériel externe », et par là il entend le texte de la commande avec le stipulé du contrat, la signature qui, encore une fois, ne garantit rien (telle œuvre signée Giovanni Bellini lui semble être de Rondinelli), les historiens traditionnels : Vasari (xvie s.) pour Florence, Lomazzo (xvie) pour Milan, Ridolfi (xviie) pour Venise. Mais il ne se fie qu'à ce qu'il voit sur la surface peinte ; seule la parfaite identité des caractéristiques indique la véritable provenance. Prolongeant la méthode de Morelli, Berenson analyse le ton général, la composition, la technique, mais son jugement porte surtout sur la morphologie : figures, ornements, habits, construction, paysage. Ainsi, des yeux enfoncés caractérisent Léonard,[...]
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Écrit par
- Henri PERETZ : maître de conférences de sociologie à l'université de Paris-VIII
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