BOLZANO BERNARD (1781-1848)
Le système de la « Grössenlehre » et les « Paradoxes de l'infini »
La Grössenlehre, qui date quant à l'essentiel des années 1830-1834, représente la réalisation, inachevée, du grand projet de Bolzano de donner un exposé rigoureusement scientifique de la mathématique à partir de ses premiers concepts et selon les normes de la Wissenschaftslehre. Quoique Bolzano revienne à la définition traditionnelle de la mathématique, il est le premier mathématicien à édifier son système à partir d'une doctrine ensembliste ; celle-ci est suivie de la construction du système des nombres naturels, rationnels et réels dans la Reine Zahlenlehre (Théorie pure des nombres), de la théorie des équations et de la théorie des fonctions. Bolzano n'a pas achevé la rédaction de la géométrie et de la chronométrie (science des propriétés mathématiques du temps) qui sont pour lui des disciplines appliquées de la théorie pure de la grandeur.
Le premier concept mathématique de Bolzano est celui de collection (Inbegriff) à partir duquel il obtient par des spécifications successives les concepts d'ensemble (Menge), de somme (une sorte de réunion disjointe) et de suite, qui concourent à la construction des nombres naturels. Au cours de ses recherches, Bolzano a rencontré, comme il le note dans Miscellanea mathematica, le paradoxe de la collection universelle, définie dans la Wissenschaftslehre comme étant l'ensemble de tous les objets identiques à eux-mêmes, et qui doit à son tour être élément de la collection. Pour échapper à la difficulté, Bolzano impose à son concept de collection une condition : aucun élément ne doit contenir un élément de la même collection.
Dans la construction du concept de nombre naturel, Bolzano se laisse guider par l'idée euclidienne du nombre comme collection d'unités. Cependant, il souligne l'aspect ordinal du nombre en le définissant comme terme d'une suite de sommes de multitudes, suite formée par une même loi récurrente. Pour détacher le nombre d'une multitude particulière, Bolzano forme le concept de nombre abstrait qui est propriété d'un ensemble, invariante par rapport à la substitution de ses éléments par d'autres éléments, tous distincts. Dans notre langage, une telle propriété a pour extension l'ensemble de tous les ensembles équinumériques à un ensemble donné ; c'est la cardinalité. Cependant, Bolzano n'exploite pas cette voie, parce qu'un tel nombre abstrait est une propriété et, à son avis, on ne calcule pas avec des propriétés, mais avec des objets.
La partie la plus remarquable de la Reine Zahlenlehre traite des nombres réels (« grandeurs mesurables » selon la terminologie de Bolzano). Bolzano commence par définir les « expressions numériques infinies » (utilisées par Euler) qu'on peut interpréter, avec B. van Rootselaar, comme suites des résultats partiels. À ces expressions, Bolzano appliquera le procédé d'approximation ou de « mesure », en les enfermant progressivement entre deux multiples successifs de 1/q (avec q ∈ N*).
Une expression numérique infinie S est mesurable, c'est-à-dire représente un réel, si pour tout entier q > 0 il existe un entier relatif p tel que :
où P1 et P2 sont deux expressions numériques infinies positives. Bolzano définit également les nombres infiniment petits : ce sont les nombres pour lesquels p est nul quel que soit q. Il éprouve de grandes difficultés à définir l'égalité entre les réels et propose d'abord une définition incohérente. L'édition critique de la Reine Zahlenlehre a montré qu'il a réussi à rectifier l'erreur ; deux nombres mesurables seront égaux (équivalents) si la valeur absolue de leur différence est nulle ou infiniment petite.Pour les réels ainsi construits, Bolzano démontre des théorèmes qui annoncent[...]
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Écrit par
- Jan SEBESTIK : docteur ès lettres, chargé de recherche au C.N.R.S.
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