FONTENELLE BERNARD DE (1657-1757)
Sous le couvert du bel esprit – qu'il resta jusqu'au bout –, donnant même dans la préciosité, Fontenelle entra en science comme on chausse une mode. Venu pour divertir, il instruit réellement.
En l'annexant à la littérature, loin de la confondre avec elle, il veut que la science devienne assimilable à l'honnête homme qui a le droit d'être initié, mais aussi le devoir de s'ouvrir aux disciplines nouvelles.
Convaincu de l'avantage des Modernes, mû par l'idée du progrès comme s'il pressentait l'ère de mutation constante qui est nôtre, il s'en prend à la tradition, à l'autorité, à tout système, toute fixation qui refuse la leçon des faits, le mouvant de l'histoire.
Jongleur du rationalisme critique, le fin de sa pensée ne vise qu'une aristocratie de l'esprit, mais atteint, par-delà, un public toujours plus vaste de curieux.
Aussi, malgré les limites qui sont celles de son siècle, l'apparition de Fontenelle dans ce qu'il appelait lui-même « l'histoire de l'esprit humain » fut un événement. Type même du précurseur, Fontenelle devança le siècle des Lumières par des œuvres dont la méthode et l'audace marquaient un jalon dans le développement et l'essor de la pensée du xviiie.
Le départ d'une pensée critique
Bernard de Fontenelle naquit à Rouen d'une famille de robins. Ses oncles du côté maternel étaient Pierre et Thomas Corneille. En mai 1677, ce dernier, propriétaire de la revue Le Mercure galant, engageait son neveu à titre de collaborateur. La Bruyère avait raison de dire que cette revue était « au-dessous de zéro ». Les contributions du jeune rédacteur n'avaient guère l'envergure nécessaire pour élever le niveau du Mercure. Après Aspar (1680), pièce dont la représentation fut un échec, Fontenelle retourne dans sa ville natale ; en effet, à Rouen, son esprit se refaisait et s'approfondissait. De 1682 à 1687, il publia des œuvres qui devaient fonder sa gloire, et dont la fécondité se révéla tout au long du siècle suivant ; pour commencer, La République des philosophes, roman utopique dont le cadre seul paraît emprunté à l'anonyme Histoire des Sévarambes. Les héros de l'utopie de Fontenelle forment une démocratie radicale liée à un système électoral ingénieusement calculé. Ils sont matérialistes et athées. En vain, leur hôte européen leur vante les avantages de la religion chrétienne ; les expériences des autres peuples tombés dans le piège de la religion les détournent de jamais adorer une divinité quelconque. L'Européen, charmé de vivre dans cette société équitable et bien ordonnée, renie son Dieu tout en respectant les lois qui défendent une telle croyance. Seul Fontenelle osait écrire sur ce ton en plein règne de Louis XIV. Il ne s'agit guère d'une propagande athée, mais plutôt d'une conviction antireligieuse. Fontenelle acceptait l'idée de Bayle qu'une société d'athées pouvait parfaitement subsister.
En même temps, Bayle publia, dans sa revue les Nouvelles de la république des lettres, un article ironique de Fontenelle sur les disputes et la rivalité des religions mosaïque, catholique et calviniste – une belle preuve d'indépendance de jugement contemporaine de la persécution farouche des hérétiques français. En 1686 furent publiés les Entretiens sur la pluralité des mondes, leçon copernicienne de relativité dédiée à une femme mondaine. Si Fontenelle, non sans humour, se plaisait à imaginer la lune et les autres étoiles peuplées d'une espèce d'hommes, il voulait s'en prendre à la doctrine chrétienne qui affirmait le monopole des êtres terrestres parmi tous les autres mondes. Dans la même année 1686, les Doutes sur les causes occasionnelles combattaient le système de Malebranche, qui prétendait que seule[...]
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Écrit par
- Werner KRAUSS
: membre de l'Académie des sciences,
professor of art history , Hunter College, New York
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