FONTENELLE BERNARD DE (1657-1757)
Les évolutions d'un « esprit moderne »
En 1691, Fontenelle était élu membre de l'Académie française et, en 1697, il était reçu à l'Académie des sciences, dont il fut secrétaire perpétuel à partir de 1699. Cependant la deuxième édition de l'Histoire des oracles suscita un orage contre l'auteur.
Les temps avaient changé depuis la première édition. Maintenant régnait le père La Chaise, confesseur du roi. Intransigeant et fanatique, il voulait étouffer les Lumières en atteignant le seul représentant qui fût accessible. Fontenelle se tut, et c'est peut-être ce silence qui le sauva. Le cauchemar se dissipait, lorsque le prince d'Orléans, ami intime de l'écrivain, devint régent (1715). Fontenelle refusa néanmoins d'occuper une place officielle dans le nouvel « establishment ». Il préférait le commerce de ses pairs, l'élite bourgeoise et intellectuelle. Pour lui, d'ailleurs, le véritable progrès était l'affaire des sciences qui ne manqueraient pas d'accélérer l'avancée sociale.
Longtemps la critique estima que les idées de Fontenelle étaient l'œuvre d'un xviie siècle octogénaire, et que Fontenelle s'était contenté, jusqu'à sa mort en 1757, de renouveler, en les variant, les intuitions et les réflexions de sa jeunesse. En fait, son œuvre témoigne à la fois de la continuité et des transformations de sa pensée qui ne cessa d'évoluer.
Les deux essais De l'histoire et De l'origine des fables, étroitement liés l'un à l'autre, démontraient jusqu'à quel point Fontenelle savait aiguiser et parfaire ses convictions. De l'origine des fables est un traité d'archéologie sociale, qui devait intéresser Lévy-Bruhl et Lévi-Strauss.
Il s'en dégage le fondement rationnel de toute pensée humaine : c'était le manque ou la précarité des expériences qui avaient acculé les hommes à recourir à des explications simples et grossières. Alors que l'homme préfère la facilité des chemins rebattus, dont il perçoit pourtant les limites fallacieuses, le progrès apparaît comme le fruit d'une aventure.
Les soixante-dix Éloges des académiciens (1715), que le secrétaire général a consacrés à la mémoire de ses collègues, constituent la source majeure qui permet de suivre la pensée de Fontenelle. Il savait, d'une main magistrale, retracer l'histoire d'une science et décrire tout ce qu'on pouvait espérer d'elle.
Pour saisir le développement ultérieur de la pensée, il faut étudier ses Réflexions sur l'argument de M. Pascal et de M. Locke concernant la possibilité d'une vie à venir (1743). Selon ces deux auteurs, il fallait, en tout cas, choisir la cause de Dieu, pour n'être pas exclu de la vie éternelle. Si Dieu n'existait pas, une telle décision ne pouvait nuire à l'homme dans sa carrière terrestre. Fontenelle objecte que le bonheur se peut très bien allier à la certitude de la mortalité de l'âme, tandis que l'option religieuse entraînerait dès maintenant des conséquences fatales pour l'équilibre de l'âme.
Fontenelle a encore écrit un Traité sur la poésie en général, paru dans la même année 1743, mais rédigé déjà vers 1735, apologie de la poésie d'esprit philosophique telle qu'elle se reflétait dans les œuvres de son ami Houdar de La Motte.
L'activité spirituelle de Fontenelle dans sa vieillesse est visible dans les « fragments » publiés dans les éditions posthumes. Une constante s'y révèle : Fontenelle était hanté par les problèmes d'organisation de l'esprit humain. Dans un de ces fragments, il y a une théorie de la langue dont la routine s'oppose à la réalisation des images évoquées. Quoique rejetant la théorie cartésienne des animaux-machines, il tente de délimiter l'intelligence des bêtes, qu'on appelle instinct, et les[...]
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Écrit par
- Werner KRAUSS
: membre de l'Académie des sciences,
professor of art history , Hunter College, New York
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