HERRMANN BERNARD (1911-1975)
Une collaboration exemplaire
En 1955, Bernard Herrmann commence à travailler avec Alfred Hitchcock, pour The Trouble with Harry (Mais qui a tué Harry ?). C'est pour ce film que le compositeur esquisse son célèbre accord – une septième majeure/mineure –, que l'on peut désigner comme l'accord hitchcockien par excellence puisqu'il va apparaître dans presque tous les films de ce réalisateur. Dans Psycho (Psychose, 1960), l'ambiguïté majeur/mineur de cet accord figure parfaitement la schizophrénie du personnage principal. Également présent dans Vertigo (Sueurs froides, 1958), cet accord résume toute la dialectique hitchcockienne du dehors et du dedans, du normal et du pathologique.
Bernard Herrmann a l'immense mérite de pénétrer immédiatement l'imaginaire du maître du suspense. Dans Vertigo, pour mettre en musique l'« idée fixe », cette recherche de la femme idéale, il fait référence aux compositeurs romantiques du xixe siècle et choisit la même voie que Richard Wagner, auquel il fait allusion : il utilise comme lui un grand orchestre mais, surtout, s'inspire pour sa partition de celle de Tristan et Isolde, une de ses œuvres préférées. Référence parfaite puisque l'histoire de Vertigo présente des similitudes avec le Tristan de Wagner : les amants ne peuvent vivre pleinement leur amour, qui les mènera inéluctablement à la mort. Plus précisément, après la crise qui domine la première partie du film et se clôt avec la mort de Madeleine (Kim Novak), le protagoniste, Scottie (James Steward), profondément abattu, passe quelque temps en maison de santé. Immédiatement après son rétablissement, on le voit regarder fixement l'immeuble où habitait Madeleine, pendant que le leitmotiv « d'amour » – une figure descendante de quatre notes – est joué par des cors d'harmonie, instrumentation romantique par excellence.
Mais la musique de Vertigo a surtout été pensée pour traduire le double vertige ressenti par Scottie : le vertige au sens littéral, c'est-à-dire le trouble qu'engendre en lui la peur de l'altitude, et le vertige au sens métaphorique, autrement dit le désordre émotionnel provoqué par le désir puis le sentiment amoureux qu'il éprouve pour Madeleine/Judy. Cette obsession de Scottie est d'autant plus vertigineuse qu'elle se porte sur une personne qui n'existe pas. Du point de vue de la mise en scène, Hitchcock traduit ce double vertige avec ce double aspect d'attraction et de répulsion en choisissant d'utiliser des mouvements de caméra rapides et brusques, comme des zooms avant et des travellings arrière. De son côté, et parallèlement à la caméra, le compositeur choisit de traduire le double vertige en utilisant des accords de septième qu'il fait jouer en arpège, qui ne sont jamais résolus et qui laissent le spectateur dans un état de malaise et d'instabilité totale. Mais le plus déroutant est le choix des tonalités : dès qu'il veut exprimer l'idée de vertige, Bernard Herrmann emploie la bitonalité ; si superposer deux tonalités ne constituait pas une nouveauté, la grande originalité du compositeur réside dans le mélange de deux tonalités qui sont généralement considérées comme incompatibles. C'est donc d'une façon tout à fait subtile que Bernard Herrmann transcrit musicalement les aspects à la fois physiologique et psychologique du malaise dont souffre Scottie et qui ne sont que les deux faces d'une même médaille.
La musique met par ailleurs parfaitement en évidence le ralentissement du temps : par le retour du passé sur le présent, qui finissent par se mélanger, Hitchcock et Herrmann font parvenir le spectateur à une atemporalité parfaitement figurée par une musique en suspension, interrompue par ce thème de l'amour impossible qui clôt le film.
Cinquième collaboration[...]
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
Classification
Média
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