GROSLIER BERNARD PHILIPPE (1926-1986)
Le nom de Bernard Philippe Groslier, né le 10 mai 1926 à Phnom Penh, restera à jamais lié à celui du Cambodge, où il vécut de longues années et à l'histoire duquel il a consacré ses plus belles études. Son père, George Groslier, né en 1887, avait été l'un des « khmérisants » les plus sensibles de la génération précédente ; directeur des Arts et conservateur du Musée national du Cambodge, auteur de plusieurs études et de nombreux dessins, il avait lui aussi donné sa vie à son pays d'adoption et était mort tragiquement, pour la France, quelques semaines avant la fin de la guerre du Pacifique. Pour Bernard Philippe, le Cambodge n'aura sans doute jamais été à proprement parler un « objet d'étude », mais bien plutôt un destin, auquel il s'est senti lié indissolublement.
Il termine ses études secondaires à Clermont-Ferrand, puis commence à Paris des études d'archéologie, d'histoire de l'art et d'ethnologie, qu'interrompent bientôt l'appel de la Résistance puis quatre années de campagnes en France, en Allemagne et en Extrême-Orient.
Démobilisé en 1948, il termine ses études d'histoire, obtient un diplôme de khmer à l'École des langues orientales et fréquente encore l'École du Louvre et la IVe section de l'École pratique des hautes études. En 1950, il entre comme stagiaire au C.N.R.S. et est nommé deux ans plus tard secrétaire de l'École française d'Extrême-Orient. En 1959, il est directeur des recherches archéologiques de l'E.F.E.O. et, en 1976, directeur du Centre de recherches archéologiques (C.R.A.) du C.N.R.S. ; mais, de 1960 à 1975, il est surtout conservateur des Monuments d'Angkor, et c'est ainsi que la postérité se souviendra de lui. Dirigeant alors un vaste chantier où travaillent plusieurs centaines de personnes, il entreprend toute une série de relevés, de fouilles et de travaux de restauration, jetant les fondements d'un projet grandiose que les événements viendront interrompre.
Il était avant tout archéologue et l'on reste stupéfait de la variété des lieux où il avait exercé ses talents. Il s'était formé à Gergovie en 1942 puis à Star Carr et à Pompéi (1948-1949). Son premier grand chantier fut au Palais royal d'Angkor Thom en 1952-1953 ; peu après, il utilisait au Cambodge la méthode toute nouvelle de la prospection aérienne et reconstituait ainsi la carte des anciens réseaux d'irrigation. En 1955-1956, il se rendait à Argos puis en Cyrénaïque (Apollonia) pour s'inspirer des méthodes mises au point par les antiquisants ; il se rendait aussi à Londres et à Istanbul pour s'initier à la datation des céramiques chinoises, si importantes pour la chronologie des sites d'Asie du Sud-Est. En 1957-1959, il séjournait longuement en Inde du Sud, à Ceylan, au Siam, en Malaisie et en Indonésie, afin de se familiariser avec les divers modes de l'expansion indienne. C'est l'époque où les responsables culturels commencent à avoir recours à lui. En 1959, il restaure le petit temple hindouiste de Sungei Batu Pahat (Perak, Malaysia), puis, de 1962 à 1970, s'attache à la reconstruction des temples de Pimay et de Panom Rung, au Siam. En 1969, il rédige pour l'U.N.E.S.C.O. le rapport préliminaire qui donnera lieu au grand projet « Borobudur » et sera encore sollicité par le Siam, par la Malaysia (à propos de Malaka), par la Corée du Sud (à propos de Sokkuram), par la Birmanie (après le tremblement de terre de Pagan)...
Son point de vue d'archéologue lui permettait d'avoir une ouverture très large, de prendre conscience de la « longue durée » et de s'intéresser aux contacts et aux influences entre cultures voisines, à la différence des spécialistes, qui ont tendance à s'enfermer dans la région qu'ils ont choisi d'étudier. S'il était, après George Coedès,[...]
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Écrit par
- Denys LOMBARD : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Média